Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 137.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

directeur d’une troupe dramatique, reprenant une ancienne pièce de Plaute, disait au public, pour le rendre favorable à cette représentation, que « les gens sages doivent préférer le vin vieux au vin nouveau » ; ce qui est très vrai à table ; mais au théâtre le public demande toujours des pièces nouvelles. Voilà pourquoi il était tenté de délaisser cette comédie, qui ne se rajeunissait plus, et de faire un bon accueil au mime qui avait toutes les grâces de la nouveauté. La tragédie se défendait mieux ; elle allait produire une pièce que Quintilien regarde comme un chef-d’œuvre, le Thyeste de Varius. Cependant, à la même époque, elle a subi une sorte de décomposition, dont il faut bien dire un mot, car elle a eu des suites importantes et a donné naissance à des genres nouveaux.

Les Romains ne se sont jamais accommodés qu’à moitié du drame grec ; ils n’avaient pas l’esprit assez délié pour en apprécier toutes les délicatesses. Ils aimaient surtout la pompe, le spectacle, les éclats de passion, les grands effets dramatiques ; ils étaient moins sensibles à la poésie qu’à la danse et à la musique, qui sont des arts plus matériels. Dès le début, ils furent très frappés des monodies qui se trouvent chez les tragiques grecs ; ils leur donnèrent plus d’importance et en firent le canticum. On appelait cantica des tirades placées en certains endroits des pièces où l’action était plus animée, les passions plus vives, où les vers prenaient un accent lyrique, et qui par conséquent demandaient à l’acteur plus d’éclats de voix et des gestes plus expressifs. Les spectateurs étaient ravis de voir et d’entendre ce personnage qui criait et se démenait sur la scène, et ils lui faisaient souvent répéter sa tirade. Comme, à ce métier, il se fatiguait vite, on lui permit d’introduire dans la coulisse, près du joueur de flûte, un jeune chanteur, qui disait les paroles, en sorte que l’acteur n’avait plus qu’à faire les gestes. Le canticum ainsi dédoublé fit, pendant plus d’un siècle, la joie des Romains[1]. Mais un beau jour les trois acteurs se lassèrent de paraître ensemble et de concourir au succès de la même pièce. Chacun d’eux voulut sans doute fixer sur lui seul l’attention du public et accaparer ses applaudissemens. Ils finirent donc par se séparer. Le joueur de flûte se revêtit de vêtemens magnifiques, « traîna sa longue robe sur la scène, » et, comme nous dirions aujourd’hui, y donna des concerts. Des deux autres, le chanteur, quittant la coulisse, parut sur le théâtre et y chanta les paroles du canticum ; l’ancien

  1. Nous nous demandons comment les Romains pouvaient supporter cette sorte d’interruption dans le jeu de l’acteur, qui cessait tout d’un coup de parler pour ne plus faire que les gestes. Mais n’est-il pas aussi étrange de voir, dans notre opéra-comique, un personnage, qui jusque-là a parlé comme tout le monde, se mettre subitement à chanter ? personne, pourtant, n’en est surpris et ne songe même à s’en étonner.