pour lui : par cela même qu’elle était la femme du passé, Mme de Stein ne pouvait être celle de l’avenir. Le « tout harmonieux » que Gœthe voulait faire de sa vie exigeait de tels changemens. Jusqu’alors, il les avait accomplis avec un bonheur exceptionnel, sans laisser aucune amertume dans les cœurs féminins qu’il rendait à la liberté. Cette fois-ci, il fut moins heureux.
Il faut dire aussi qu’il fut moins adroit, qu’une passion nouvelle intervint, que Mme de Stein put être offensée dans son amour-propre par le choix de celle qui la remplaça autant qu’elle fut atteinte au cœur par l’abandon. Goethe était rentré à Weimar le 18 juin. Moins d’un mois après (13 juillet), il installait dans la modeste maison de campagne (Gartenhaus) qu’il tenait de la générosité du duc une fleuriste du nom de Christiane Vulpius, — petite personne rondelette, fraîche, gaie et gracieuse, mais d’humble origine et dépourvue de tout bel esprit. Naturellement, ce coup inattendu causa quelque éclat dans Weimar. Mais à Gœthe, tout était permis : on devait tolérer sa liaison nouvelle, jusqu’au moment où il lui plairait de la légitimer. Seule, Mme de Stein lui causait de sérieuses inquiétudes. Aussi longtemps qu’il put, il lui cacha la vérité, continuant avec elle son petit commerce épistolaire, bien que ses lettres se fissent de plus en plus rares et de moins en moins affectueuses. Cela dura pendant plusieurs mois. Quand l’équivoque, enfin, se dissipa (mars 17889), Gœthe se retrancha d’abord derrière des protestations d’amitié ; puis, l’ancienne amie ne se résignant pas, il changea de tactique, et, dans la lettre qui marque la fin lamentable de leur longue liaison, il eut le courage de prendre l’offensive et de plaider, non pour lui, mais contre elle :
« Je te remercie de la lettre que tu m’as laissée, bien qu’elle m’ait affligé de plus d’une manière. J’ai hésité à te répondre, car il est difficile, en un cas pareil, d’être juste et de ne pas blesser… Ce que j’ai laissé en Italie, je ne puis plus le répéter, tu as assez mal accueilli mes confidences à ce sujet. Malheureusement, tu étais à mon arrivée dans un état d’esprit particulier, et je dois avouer que la manière dont tu me reçus, et dont d’autres nie reçurent, m’a été extrêmement sensible. J’ai vu Herder, la duchesse partie, qui insistait pour m’offrir une place libre dans la voiture, et je suis resté pour l’amour de l’ami pour qui d’ailleurs j’étais venu ; et cela, pour m’entendre dire que j’aurais aussi bien fait de ne pas venir, que je ne m’intéresse pas à lui, etc., tout cela, avant qu’il ait été question des relations qui paraissent tant t’offenser. Et quelles sont ces relations ? Et qui s’en trouve lésé ? Qui élève des prétentions sur les sentimens que j’ai pour la pauvre