se soulèvent. Une lutte commence, lutte obscure, prolongée jusqu’aux temps modernes, dont les épisodes et les héroïsmes échappent à notre Occident, encouragée par la seule Russie, qui mêle à son concours des intrigues et des réticences. Il faut approfondir cette histoire et s’identifier avec ses victimes pour saisir la différence des aspects que la question d’Orient revota leurs yeux et aux nôtres. Elles en ont senti le réalisme et l’acuité ; la génération de 1830, à laquelle nous en devons l’initiation, n’en a jamais connu que la névrose.
Ces souvenirs sont un facteur plus considérable qu’on ne pense des problèmes contemporains. Ni l’homme d’Etat ni le diplomate ne peuvent s’en désintéresser. Là-bas, ils font partie des premiers enseignemens que reçoit le peuple, par l’école ou par la presse. Ils entrent dans le bagage d’idéal dont tout candidat doit être pourvu, surtout dans un pays idéaliste jusqu’à la candeur. Ils deviennent familiers à tout homme qui sait lire, et par conséquent ils entreront de plus en plus dans l’actualité, à mesure que l’opinion s’élargira et prendra une assiette plus démocratique. Il s’est jadis produit chez nous l’inverse du phénomène qu’accuse en Serbie la marche des idées. Notre Révolution a coupé notre histoire en deux : tout au moins l’effort des politiciens tend-il à en persuader la génération nouvelle. C’est une invasion étrangère qui interrompt les destinées de la Serbie, s’appesantit sur sa vie nationale et risque de l’absorber : la préoccupation qui suit immédiatement la délivrance est de reconstituer l’unité historique du pays et de proclamer solidaires son passé et son avenir.
C’est l’émancipation des Balkans qui ouvre à ce beau rêve une porte sur la réalité. Or elle n’est pas le fait du monde latin : c’est res inter Slavos acta. Qui en bénéficiera, sinon le peuple le plus profondément slave de la péninsule, par la pureté de son évolution historique, — accomplie tout entière sur le seul théâtre de l’Orient, — par sa qualité d’ancien client et. de coreligionnaire du peuple russe, dont les Croates, par exemple, ne professent pas le culte, répudient le calendrier, et ignorent l’alphabet ?
Plus encore, ce n’est pas seulement les armes à la main et avec le concours de la civilisation orthodoxe que la Serbie est parvenue à constituer un foyer jugo-slave indépendant : elle se dit le Piémont de la future unité ; elle en est surtout la Toscane. C’est un de ses enfans, Vuk, qui a unifié, fixé, érigé en langue classique tous les dialectes, — sauf le bulgare, — parlés, il y a quatre-vingts ans, par le monde des raïas, des serfs, ou des insurgés de la péninsule. Œuvre immense, qui embrasse la