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A chaque étape de sa vie politique, Cavour, avec son esprit lucide et positif, n’a jamais visé que le but qu’il croyait pouvoir atteindre ; et avant comme après 1856, lors de la guerre d’Orient comme après le Congrès, il employa toutes ses facultés à hâter le moment où il pourrait ravir à l’Autriche ses possessions italiennes pour les réunir au Piémont. Sous l’empire de cette constante préoccupation, il seconda les efforts du roi pour réorganiser l’armée, et pour mettre sur un bon pied de défense les places fortes, il dut successivement contracter plusieurs emprunts pour couvrir ces dépenses ; il hâta la construction des chemins de fer. Il ne perdait pas de vue toutefois que le Piémont, pour préparer qu’il y fût, ne pouvait courir les chances d’une guerre avec l’Autriche sans s’exposer à une défaite certaine s’il n’obtenait l’assistance armée d’une grande puissance. Si grande que fût son admiration pour l’Angleterre, ou plutôt pour ses institutions, il dut bien vite se convaincre qu’il n’en obtiendrait aucun appui sérieux, malgré les sympathies que ses plénipotentiaires avaient témoignées à l’Italie au Congrès de Paris, et que le cabinet de Londres se montrerait au contraire hostile à toute tentative devant porter atteinte au prestige ou à la puissance de l’empire autrichien. La situation générale d’ailleurs s’était, depuis lors, sensiblement modifiée. La France, après le rétablissement de la paix, s’était rapprochée de la Russie, et le cabinet de Londres tendait visiblement, de son côté, à resserrer ses relations traditionnelles avec la cour de Vienne.

Contraint de renoncer à l’appui collectif des deux alliés auxquels le Piémont s’était uni en Crimée, Cavour ne désespéra pas d’obtenir l’assistance séparée de la France. Il en entrevit le moyen dans ses entretiens avec l’empereur pendant qu’il siégeait au Congrès de Paris, entretiens qui lui révélèrent l’ardent désir de son interlocuteur de mettre à néant tout ou partie des traités de Vienne. — En restituant la Savoie au Piémont et en livrant l’Italie et ses princes à l’influence exclusive de l’Autriche, les coalisés de 1815 avaient entendu conserver à leurs armées un accès rapide et facile au cœur même de la France. Il suffit de jeter un regard sur la carte pour s’en convaincre. Le Rhône en effet, par cette double combinaison diplomatique, délimitant notre frontière sur ce point, il leur eût suffi de le franchir pour arriver en deux étapes à Lyon. Cet état de choses n’était pas l’une des moindres préoccupations de l’empereur ; Cavour s’en était assuré, et il se persuada qu’en concédant la Savoie il obtiendrait la participation de la France à la guerre qu’il appelait de tous ses vœux. Quand il eut mis le Piémont en état de combattre, il négocia sur cette base, et l’accord s’établit à Plombières. On en