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— la Croatie-Slavonie rattachée à l’État transleithan, la Dalmatie au cisleithan, — et le foyer séculaire de la famille des Hrvat. Entre les Hrvat (Croates) et les Srb (Serbes) il y a communauté d’origine ethnique, de langage, de mœurs et d’organismes primitifs. Les deux groupes ont grandi sous le système de la fédération patriarcale, entre tribus commandées par des zupans et constituées elles-mêmes par les zadrugas, sorte d’association rurale dont le type s’est conservé jusqu’à nos jours. Seulement le premier a reçu ses apôtres de Rome, par la Dalmatie, et dès 1102, en acceptant la suzeraineté de la Hongrie, a suivi sa fortune ; l’autre, initié au christianisme par les Grecs, conserve son indépendance et la pure tradition nationale jusqu’à la bataille de Kossovo. Ce fut une véritable bifurcation de voies historiques : on en pressent les conséquences.

Les Croates d’aujourd’hui se font honneur de leur origine slave ; mais ils reconnaissent qu’ils tiennent leur religion du monde latin, une partie de leur civilisation du monde allemand ; que ce sont là des liens avec l’Occident, resserrés par l’histoire, où leur page, surtout militaire, montre confondues leurs destinées et celles de l’empire des Habsbourg. Une seconde nature s’est ainsi formée en eux, superposition d’atavisme accidentel à l’atavisme naturel. Au fond de l’idée serbe, il y a certainement répugnance à accepter l’unité de civilisation en Europe, défi du slavisme à l’occidentalisme, érection d’un autel contre un autel. Mais précisément les Croates, placés sur la frontière de deux mondes, tenant à l’un par le sang, à l’autre par l’adoption, soutirent violence et réclament, en leur qualité bizarre de Jugo-Slaves austro-latins, une autonomie au moins provisoire, qui sauvegarde leur équilibre moral.

Tel est le milieu dans lequel, sous l’égide de l’idée nationale, le serbisme cherche à s’implanter. Un autre caprice de l’histoire lui fournit les instrumens de pénétration. Les grandes invasions turques ont chassé dans le sud de la Hongrie et sur le territoire tri-unitaire, une foule d’émigrés serbes dont la grande préoccupation, jusqu’aux temps modernes, fut de conserver leur physionomie propre dans un milieu catholique et soumis, suivant les régions, aux influences germanique et italienne. Ils obtinrent de Léopold Ier une sorte d’édit de Nantes, constitution célèbre qui les autorise à élire un congrès national : ce congrès, — qu’il ne faut pas confondre avec le synode, — non seulement désigne le patriarche de Karlowitz, mais fonctionne à peu près comme une assemblée législative en matière religieuse et scolaire. Aux yeux des Serbes de Transleithanie, c’est le palladium de la liberté,