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confessionnelle, à tel point que le droit commun de la laïcisation les trouve plus récalcitrans que les catholiques. Sur le territoire croate-slavon ils ont protesté, il y a seize ans, contre les réformes du ban Mazuranic, substituant l’Etat au clergé dans la direction des écoles ; aujourd’hui, dans le Banat, c’est-à-dire sur le territoire de la Hongrie, ils se considèrent comme lésés par l’introduction récente du mariage civil.

A l’abri de cette constitution, l’élément serbe d’Autriche ne s’est laissé ni convertir ni absorber. Trop faible numériquement pour faire figure d’Etat dans l’Etat, il reste du moins une entité politico-religieuse, un groupe original et distinct, par son culte, ses traditions, son alphabet, le tout identifié avec sa nationalité. Plus encore, au milieu des Croates, il est l’avant-garde vivante du chauvinisme de Belgrade — la Serbie-programme débordant les frontières de la Serbie-royaume — avant-garde parfaitement organisée, d’ailleurs, qui dispose de journaux sur le littoral, à Raguse, à Zara, comme à Agram et dans les anciens confins ; dont le centre, au surplus, est à Novi-Sad (Neusatz), en pays hongrois, ce qui prouve, entre parenthèses, combien le serbisme est un et affecte de planer sur les divisions territoriales. A Novi-Sad paraît le Branik (Défense), organe du parti serbe modéré, dirigé par le docteur Polit ; la Straza (Sentinelle) et la Zastava (Drapeau), feuille intransigeante, anti-croate et anti-magyare à la fois, dont l’ancien rédacteur en chef, M. Svetozar Miletic, qui fut député au parlement de Pesth, a passé plusieurs années dans les prisons hongroises. Novi-Sad est aussi le centre de la Matica Srpska, société littéraire que les symétries de la rivalité opposent à la Matica Hrvatska.

Cette rivalité de Serbes à Croates, quoiqu’elle couvât toujours, par les causes que l’on connaît, n’est devenue ardente que depuis une quinzaine d’années. C’est un phénomène remarquable, — et, pour l’avenir des Jugo-Slaves, rassurant, — qu’elle n’ait point résisté au premier souffle impétueux de nationalisme qui ait couru sur l’Europe. En 1848, le péril magyar trouva ces frères parfaitement unis et même fondus dans le sentiment de l’unité nationale-Comment l’entente serbo-croate, née de la solidarité ethnique, rajeunie par l’illyrisme, affirmée aux heures de crise et scellée sur les champs de bataille, va-t-elle donc s’affaiblissant, jusqu’à dégénérer en conflit, à partir du moment où, dans la vie constitutionnelle, les peuples trouvent mainte occasion d’assurer un développement pacifique à cette revanche de la voix du sang sur l’histoire ?

Un publiciste philosophe et quelque peu fataliste, qui se couvre