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rattachent par un fil brillant, mais trop ténu, à leur axiome, est de provoquer des réactions. La Croatie, qui venait de fournir un si rude élan en 1848 et possédait Strossmaier, ne se résigna pas à cette absorption, même idéale. Starcevic débuta, dans la vie publique, par une brochure très vive, Ime Srb (le Nom serbe), dans laquelle il prenait, au profit du nom croate, le contre-pied de la théorie de Vuk. La presse quotidienne de son pays, quoique divisée sur des questions locales[1], tomba d’accord pour entretenir cette polémique. Rien n’est acharné, entre peuples jeunes, comme ces duels d’abstractions, auxquels les tempéramens et les religions dissidentes ne servent pas seulement de témoins. Le moindre incident les envenime, et quand une voix supérieure est parvenue à contenir l’irritabilité des hommes, ils trouvent des alimens nouveaux dans la malice des événemens.

L’événement voulut que l’Autriche, humiliée à Sadowa par l’Allemagne du Nord, finît par accepter d’elle une alliance, des compensations et le rôle de sentinelle de l’Europe centrale dans les Balkans. L’occupation de la Bosnie et de l’Herzégovine, en 1878, inaugura cette politique, désormais militante contre les Slaves ; et Slaves eux-mêmes, compromis par la force des choses et la rigueur du lien loyaliste dans le Drang nach Osten, les Croates se trouvèrent en fausse posture devant leurs frères de l’extérieur. Strossmaier avait pu, jusqu’alors, conjurer la scission, en dépit d’incidens irritans, tels que les réformes de Mazuranic et l’incorporation des anciens confins à la Croatie. Son influence fut impuissante à partir du jour où l’Autriche tint garnison à Serajevo.


III

Quand le corps d’occupation eut balayé, en Bosnie et en Herzégovine, les dernières bandes d’irréguliers plus ou moins soudoyés par la Porte, le monde jugo-slave, fidèle à son point de vue, qui exclut volontiers le droit nouveau des puissances, se-sentit moralement réintégré dans une partie de son patrimoine, et ne se posa guère qu’une question : Au profit immédiat de quel groupe cette revanche de Kossovo ?

Cette question, les Serbes la résolvent le plus aisément du monde. La genèse de leur « idée » le fait pressentir. Pour eux, la dévolution actuelle de la Bosnie et de l’Herzégovine ne marque qu’un temps d’arrêt dans la marche à l’unité que leur vocation

  1. Voyez la Revue du 15 septembre 1895 : La Hongrie el l’opposition croate.