pas d’arracher des sourires à la gravité des diplomates austro-hongrois, on aura la physionomie du différend, et son esthétique, pour ainsi dire. Restent les effets politiques, qui ne manquent d’intérêt ni pour l’Autriche ni même pour l’Europe.
L’intérêt positif de ce conflit, sa traduction fréquente en faits, — beaucoup plus irritans que les excommunications d’académie et les polémiques de journaux, — son importance enfin, au point de vue des relations tant intérieures qu’extérieures de l’Autriche, viennent de ce que le serbisme, par les causes que nous avons indiquées, déborde ses frontières naturelles et agit incessamment au sein même des provinces jugo-slaves de l’empire. En Croatie-Slavonie, sur le littoral dalmate, même en Bosnie-Herzégovine, deux courans d’esprit national, qui ont absorbé presque toutes les tendances particularistes, se traversent et se neutralisent. Les qualifications de Croate et de Serbe y ont passé dans le langage usuel, dépouillées de leur sens géographique, et s’y emploient comme synonymes de partisan de la solution starcevicienne ou d’adepte de l’école de Belgrade. On est l’un ou l’autre, dans ces régions, à peu près comme on est monarchiste ou républicain en France. Seulement l’ « opinion », ici, est tenue d’autant plus haut qu’elle constitue la formule même du patriotisme. — « Vous êtes Bosniaque ? demandait tout récemment l’empereur à un étudiant de l’Université d’Agram. — Oui, Majesté, Croate mahométan de Bosnie. » La nationalité abstraite, le culte, l’origine, tel est l’ordre qu’adoptent généralement les individus, pour se classer dans la société jugo-slave contemporaine.
La lutte se ressent naturellement du relief inégal que présente le champ de bataille. Sur le territoire de la Croatie-Slavonie, nous sommes en pays transleithan, parlementaire, incommodé, au surplus, par le magyarisme et sa propre constitution. Ici, point de groupe qui milite ouvertement en faveur de « l’idée serbe » ; dépouillée de ses voiles, elle aurait un caractère insurrectionnel. En revanche, près du tiers des électeurs s’inspirent de cette idée, et croient la servir, précisément par une affectation de loyalisme outré, en prenant parti pour le gouvernement contre la réaction patriote. C’est depuis l’occupation de la Bosnie que cette tactique a été adoptée. La première victime en fut Mazuranic, qui dut résigner ses fonctions de ban en 1879. Dès l’instant que les « frères » Croates tendaient à s’isoler, il fallait empêcher chez eux une formation politique quelconque. Le serbisme méconnu