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Jutland, après avoir brisé la résistance que les Danois avaient vaillamment tenté de lui opposer. Délaissé par la puissance qui avait pris autoritairement sa défense en main, ne pouvant espérer aucun secours, le Danemark, menacé de perdre la totalité de ses possessions continentales, se résigna à subir le sort du vaincu ; il fit à la Prusse et à*l’Autriche, par un traité conclu le 30 octobre 1864, abandon des deux duchés. Par une dérision du sort, cet acte de spoliation fut signé dans la capitale de l’empereur François-Joseph, auquel son allié réservait, dans un avenir prochain, le traitement qu’ils avaient ensemble infligé au roi de Danemark.

La paix, en effet, était à peine rétablie que déjà M. de Bismarck songeait à ravir à son copartageant la part qui lui était dévolue dans les dépouilles de l’Etat danois. La communauté de possession, avons-nous dit ailleurs, source féconde de conflits faciles à susciter, convenait au ministre du roi Guillaume qui en avait fait la proposition. Portant ses vues plus haut et plus loin, il en fit la base d’une entreprise plus vaste qu’il avait conçue en se heurtant, à Francfort, à la prépondérance de l’Autriche en Allemagne. D’accord avec son souverain, il n’eut plus qu’un objet bien défini, celui de combattre et de vaincre son allié de la veille et de l’expulser de la Confédération germanique. L’âme remplie d’une confiance absolue, il l’aurait, assure-t-on, manifestée en présence du représentant de l’Autriche, accrédité à la cour de son maître : « Il n’y a pas place, lui aurait-il dit, pour nous deux en Allemagne ; il faut que l’un ou l’autre en sorte » ; euphémisme qui ne laissait subsister aucun doute dans l’esprit de ce diplomate. M. de Bismarck n’était pas encore parvenir à ce degré de puissance qui a commandé, depuis, de compter avec chacune de ses paroles ; on attribuait de pareils écarts, très fréquens dans sa bouche, à son intempérance de langage habituelle ; on se reposait sur la droiture des sentimens prêtés au souverain que l’on croyait fort éloigné de partager de pareilles visées. Vaines illusions ; ce jeu du roi et de son ministre a égaré les plus puissans gouvernemens qui en ont été tour à tour les dupes.

Nous excéderions les limites de cette étude si nous entreprenions d’exposer tous les stratagèmes imaginés par M. de Bismarck pour en venir aux mains avec l’Autriche ; il nous suffit de l’avoir montré à l’œuvre dans l’affaire des Duchés. Nous nous bornerons à rappeler sommairement les habiletés diplomatiques d’une stratégie personnelle, que son esprit, toujours fécond en surprises, lui a suggérées quand il a jugé opportun de précipiter la crise. Certain de la bienveillance de la Russie conquise par sa participation en Pologne, non moins assuré de la neutralité de la France,