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la grandeur sans effort, ont senti d’autant croître en eux leur culte pour les vieux maîtres, leur admiration pour des œuvres auxquelles, sans fatigue pour leurs oreilles et pour leur esprit, ils ont dû tant de salutaires et réconfortantes impressions. Et comme pour faire mieux ressortir par une humble comparaison le prix des sujets les plus élémentaires et des compositions les moins ambitieuses, l’Allemagne, qui nous était représentée comme convertie aux doctrines d’un réformateur dont les prosélytes demeurent chez nous plus ardens et plus intraitables, l’Allemagne acclamait récemment les données plus que modestes et les fredons italiens de Cavalleria rusticana et des Pagliaci.


VII

Après s’être peu à peu développée et avoir atteint son complet épanouissement, la symphonie a été de nos jours graduellement délaissée. Presque seuls en Allemagne depuis la mort de Raff, de Wolkmann et de Rubinstein, J. Brahms, avec autant d’élévation que de force, et un Français, Th. Gouvy, — plus connu chez nos voisins que chez nous-mêmes, — avec un sentiment plus marqué de grâce et d’élégance, continuent les meilleures traditions du genre. En France, la symphonie ne compte plus guère qu’un représentant, G. Saint-Saëns, qui, dans la pleine maturité d’un talent où la science s’allie si heureusement à l’inspiration, est fait pour y exceller. Mais la plupart des compositeurs qui se sont essayés en ce genre l’ont abandonné. Ceux qu’attire encore la musique orchestrale, comme s’ils craignaient l’indifférence du public, ne se hasardent plus qu’à des morceaux de courte durée. Presque tous d’ailleurs cèdent au mouvement qui entraîne les musiciens comme les littérateurs vers le théâtre, où les succès sont à la fois plus populaires et plus fructueux. Dans ces conditions, il serait sans doute téméraire de prophétiser la fin de la symphonie ; c’est en fait d’art surtout que l’esprit souffle où il veut, et l’apparition d’un homme de génie suffirait pour ressusciter une forme qui semble épuisée. Mais d’une manière générale, on ne peut méconnaître que nous traversons en ce moment une période difficile, peu favorable aux productions austères et aux ouvrages de longue haleine. Si l’éclectisme en philosophie n’a amené que des résultats douteux, il nous a valu dans le domaine de l’art des jouissances infinies. En même temps que les musées devenaient plus nombreux et plus riches, que les voyages rendus plus faciles nous en procuraient l’accès, des sociétés de concert fondées dans l’univers entier répandaient partout la connaissance des grandes productions orchestrales. L’éducation du public se faisait ainsi