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pas remporté la victoire. Néanmoins, en admettant même que Bryan, le candidat de l’argent, fût devenu président des États-Unis, il n’en serait résulté qu’une loi de libre frappe eût été votée immédiatement par le Congrès. Tout d’abord l’élu du 3 novembre, ou plutôt le candidat dont la nomination est aujourd’hui certaine d’après le choix des électeurs présidentiels que le suffrage universel a désignés à cette date, n’entre en fonctions que le 4 mars prochain. Alors que le Sénat, avant le renouvellement du tiers de cet automne, était plutôt favorable à l’argent, les deux tiers de la Chambre actuelle des représentans lui sont hostiles, et les dernières élections partielles n’ont fait qu’accentuer ces dispositions. En tout cas, la session régulière de la nouvelle Chambre n’a lieu qu’à la fin de 1897, et ce n’est qu’en des circonstances graves que le président de la République userait de son droit pour la convoquer à une date plus rapprochée. Même dans cette dernière hypothèse, c’est au plus tôt vers l’été de 1897 que les législateurs américains auraient pu procéder à leur œuvre et modifier les bases du système monétaire.

Il convient cependant, bien que cette éventualité soit désormais écartée, d’examiner ce qu’aurait pu être au juste cette législation argentiste, et quelles en eussent été les conséquences pour l’Amérique et le reste du monde civilisé. Ce pays occupe matériellement et économiquement une place trop vaste sur notre globe, pour que rien de ce qui s’y passe doive nous laisser indifférens. Son agriculture, son commerce et son industrie exercent une telle influence sur les marchés européens et asiatiques, que le contre-coup d’un événement comme celui dont il a fallu un instant admettre la possibilité eût dérouté peut-être les calculs des économistes les plus avisés. Il ne sera pas inutile à cette occasion d’essayer de remonter à la source de l’idée monétaire, de préciser l’importance du rôle des métaux précieux dans la marche de l’humanité, et de ramener à sa juste mesure leur valeur, que l’opinion des hommes a toujours eu une tendance manifeste à exagérer.

Il n’est pas nécessaire de nous étendre sur la puissance productive de la fédération américaine, qu’un de nos collègues de la Société d’économie politique appelait l’autre jour, non sans quelque dédain, « une vaste entreprise de colonisation. » Elle est beaucoup plus que cela : une nation puissante, qui se retrouverait bien vite unie en face de la première menace venue de l’extérieur, malgré l’apparente violence des luttes politiques intestines, malgré les injures que les adversaires de l’Est et de l’Ouest s’adressent à la face du monde, malgré la dislocation actuelle des anciens partis démocrate et républicain, dont l’équilibre semblait aussi