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logis, lui coûtent deux fois plus, qu’aura-t-il gagné au bout de l’année ? Aura-t-il mis un centime de plus à la caisse d’épargne, aura-t-il mieux nourri, mieux habillé, mieux abrité ses enfans ? Et que l’on ne nous objecte pas que certains prix pourraient s’élever alors que d’autres resteraient stationnaires : ce serait la condamnation la plus éclatante des réformateurs, qui ne cessent de proclamer qu’ils travaillent pour le bien public, c’est-à-dire celui de chaque citoyen. S’il était au contraire prouvé que la réforme favorisera les uns au détriment des autres, la théorie argentiste serait ruinée du coup. Et s’il apparaissait en fin de compte que les favorisés seraient les industriels, et les ouvriers les victimes, nous n’avons pas besoin de dire en quoi se changeraient les applaudissemens prodigués au programme argentiste. Nous nous bornons pour l’instant à constater que, même en acceptant les conséquences de la théorie telle qu’elle est exposée ; par ses partisans, on n’arrive pas à prouver que le sort de la masse soit le moins du monde amélioré.


III

Aucun homme sensé ne demandera de changement aux lois de son pays, s’il lui est démontré que le résultat le plus heureux à attendre de cette modification serait de rétablir au bout d’une certaine période un état de choses analogue à celui qui existait auparavant. Mais en admettant même que l’équilibre soit rétabli à un moment donné, le retour au calme eût été précédé d’oscillations violentes qui causeraient les perturbations les plus graves à l’intérieur même des frontières, et cela par suite des mille points de contact qui existent entre l’Amérique et le reste du monde. Il n’est pas possible de considérer un pays, et surtout un pays comme celui qui nous occupe, abstraction faite de ses relations avec l’étranger, et c’est précisément par suite de ces relations que l’adoption de la libre frappe de l’argent apporterait un trouble considérable dans la vie nationale.

Les États-Unis sont à la fois de grands exportateurs et de grands importateurs. Ils exportent beaucoup de matières premières et importent certains produits alimentaires tels que le thé, le café, le sucre, et des objets fabriqués. Ils importent aussi des capitaux étrangers, qui les ont aidés à mettre plus vite en valeur leurs propres richesses. Etudions quel serait l’effet de la législation nouvelle à ces divers points de vue.

Sans refaire ici la théorie du change[1], il est aisé de deviner

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 1er avril 1894.