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qui les opérait ! C’était précisément la même qui dans les années précédentes en avait été l’importateur le plus actif.

Ces allées et venues de lingots d’or en sens contraire, à quelques semaines d’intervalle, sont la démonstration la plus claire de l’intérêt qu’il y aurait à établir la Chambre de compensation internationale dont nous avons émis l’idée et exposé le projet[1]. Cette chambre remplacerait, par de simples viremens de lingots préalablement déposés par chaque pays dans ses caves, les envois d’espèces qui, entre pays à étalon d’or, sont le moyen par excellence de régler les soldes créditeurs ou débiteurs. Ces soldes ne résultent pas seulement de ventes ou d’achats de marchandises. Les exportations d’or américaines de 1896 ont été en grande partie dues à ce que beaucoup de capitalistes américains, par crainte d’une détérioration de l’étalon national, transformaient leurs dollars en francs ou en livres sterling, c’est-à-dire les expédiaient en France ou en Angleterre. Comme aucun de ces deux pays n’est menacé d’une révolution monétaire, ces capitalistes comptent qu’à tout moment une livre sterling ou un franc y représentera un poids d’or déterminé. Inversement des Européens qui avaient effectué des placemens en Amérique faisaient revenir leurs fonds de là-bas, avant que la dépréciation redoutée ait eu lieu. Ces mouvemens d’espèces procèdent donc de la crainte de l’avenir et non pas de causes naturelles, telles que des exportations ou importations. Car cette année même, les capitaux se sont resserrés en Amérique, le taux de l’escompte s’y est élevé, et, s’il n’y avait pas d’inquiétude monétaire, la logique voudrait que l’or européen allât s’employer là où les taux d’intérêt sont plus rémunérateurs que de ce côté-ci de l’Océan. C’est ce qui se passerait par exemple entre la France et l’Angleterre, si le marché de l’un des deux pays éprouvait une secousse. C’est ce qui advint en 1891 lors de la suspension Baring, quand nous avons prêté 75 millions d’or à la Banque d’Angleterre : nous aidions à conjurer une crise dont le contre-coup nous atteignait et nous savions que nous serions, sans difficulté, remboursés dans la monnaie que nous prêtions.

Ce ne serait pas un des moindres désastres amenés par la législation argentiste que d’empêcher précisément les étrangers de continuer à l’Amérique leurs prêts, dont ce pays jeune a encore besoin, ou de les obliger à stipuler dans une monnaie qui ne serait plus l’étalon légal. Dès ce moment, l’Américain débiteur, s’obligeant à rembourser en or, ne pourrait pas chiffrer en dollars l’étendue de l’engagement qu’il contracterait ; car la prime

  1. Annales de l’École des sciences politiques, janvier 1893.