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sur l’or pourrait varier du simple au double, au triple, au quadruple, entre le jour de la signature du contrat et celui de l’exécution. Les hommes prudens éviteraient le plus possible de souscrire de pareilles obligations, et éprouveraient d’ailleurs beaucoup de peine à trouver des prêteurs qui consentissent à courir les risques énormes qu’elles impliquent.

Les argentistes américains et les bimétallistes d’Europe auront rendu, sans le vouloir, un service à l’humanité, en la forçant à serrer de plus près le problème monétaire, à saisir corps à corps ce mystère qui a tourmenté tant de philosophes et donné naissance à d’innombrables erreurs. Ce qui se passe maintenant servira plus à faire comprendre la véritable nature de la monnaie que les études économiques des siècles passés. Quel qu’eût été le résultat de l’élection américaine du 3 novembre, un enseignement d’une haute portée, quoique d’une nature bien différente dans l’un ou l’autre cas, devait s’en dégager. En mettant en minorité les argentistes, le peuple américain s’est prononcé en faveur du maintien de l’étalon d’or, et a coupé court aux idées de restauration bimétalliste qui ont agité le monde depuis quelques années. Et si nous croyons au triomphe universel à un moment donné de cette solution, ce n’est nullement par haine de l’argent, comme se l’imaginent les partisans de l’opinion contraire. La théorie scientifique n’exige qu’une chose : la constitution de la monnaie libératoire en un seul métal. Peu lui importe que ce métal soit l’or ou l’argent. Mais l’expérience nous démontre que l’or, ayant aujourd’hui, de par le consentement universel, une valeur trente fois supérieure à celle du métal blanc, est mieux apte à remplir le rôle d’étalon.

Que si au contraire Bryan eût été nommé, et que toutes les autres conditions nécessaires pour l’adoption d’une loi de libre frappe de l’argent se fussent trouvées réunies, les États-Unis auraient donné encore une fois à l’univers une incomparable leçon de choses, comme ils l’ont fait de 1878 à 1893 sous le régime du Bland bill et du Sherman bill. L’expérience cette fois ne se bornant pas à un achat de quantités limitées d’argent, la production argentifère du monde eût afflué aux hôtels des monnaies des États-Unis. Non content de cette perspective, trop lente peut-être à se réaliser, un fanatique n’a-t-il pas déclaré qu’après tout il est inutile d’extraire l’argent des mines ? Il se conserve là aussi bien que dans les caves de la Trésorerie à Washington et peut servir à gager les billets, en continuant à reposer dans les puits et les galeries d’abatage !

Nous avons essayé de montrer quels seraient les effets d’une législation de ce genre sur la vie économique du pays. Combien