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de temps aurait-il fallu à l’opinion publique pour s’en émouvoir ? Au bout de combien de mois le bon sens du peuple eût-il fait justice des chimères des politiciens et les eût-il forcés d’arrêter l’accumulation d’un métal inutile, à un prix factice ? L’avenir seul nous l’eût appris. Mais ce qui semble certain, c’est que le rappel d’une loi semblable se serait moins fait attendre que celui de la loi Sherman en 1893 : elle ne serait pas restée trois ans en vigueur. D’un autre côté, il n’y a plus lieu de supposer qu’une augmentation brusque de la production, déjà si considérable, de l’or, doive jamais éveiller dans le monde des craintes semblables à celles d’il y a une quarantaine d’années et inspirer des idées de démonétisation du métal jaune et de retour au monométallisme argent. La production de ce dernier métal est elle-même trop grande et peut être trop facilement accrue pour qu’il y ait chance de voir son prix s’élever beaucoup par rapport à celui de l’or. La connaissance que nous avons de la répartition des gisemens métalliques à la surface du globe ne nous permet pas de supposer que l’univers ait jamais intérêt à bouleverser encore une fois son organisation économique actuelle et à revenir en arrière.

Une des conquêtes des dernières années a été de mettre en lumière la nécessité de n’avoir qu’un seul métal pour étalon monétaire. Nous avons démontré que l’or est ou va être, dans un laps de temps qui ne dépassera pas deux générations, assez abondant pour tous les besoins. Les peuples qui l’ont déjà le garderont et ceux qui ne l’ont pas encore l’adopteront comme mesure de la valeur, en attendant la future évolution qui ne nous mènera ni au bimétallisme, ni au monométallisme, mais peut-être à l’amétallisme, c’est-à-dire un état dans lequel les hommes auront trouvé, pour évaluer leurs richesses et opérer leurs échanges, une commune mesure plus simple encore que les métaux précieux.


RAPHAËL-GEORGES LEVY.