Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/405

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rameaux qui se terminent en forme de croissant. Or ce caducée archaïque est celui que nous retrouvons sur les monnaies et les estampilles officielles de l’Afrique punique. Il y a plus ; sur les monumens religieux de Carthage, le tronc du caducée, qui est le plus souvent enguirlandé, s’élargit à sa base et se termine par un pied qui en explique clairement la signification : le caducée était primitivement un mai, un arbre sacré, quelque chose comme la verge d’Aaron qui fleurit dans le sanctuaire, une achérah pour parler le langage hébraïque, surmontée du croissant et du disque, du grand symbole religieux de l’Orient. Les Grecs ont joué sur les mythes ; ils ont fondu le caducée avec le bâton d’Esculape, et par une de ces transformations dont la massue d’Hercule nous a fourni un exemple, ils l’ont enlevé de sa base et l’ont mis dans la main de Mercure ; mais alors même ils lui ont gardé son caractère miraculeux et ils lui ont donné des ailes.

Le caducée se rattache intimement à un autre symbole du même dieu, dont le nom est devenu synonyme d’Hermès dans l’antiquité. On connaît ces pierres fichées dans le sol, tantôt simplement équarries, tantôt surmontées d’un buste, auxquelles les Grecs ont donné le nom d’Hermès. C’était un reste du culte des pierres sacrées, qui a de si profondes racines chez les peuples sémitiques. Le nom générique dont les Grecs se sont servis pour désigner les pierres sacrées, « bétyle », est un nom sémitique ; il signifie la « maison du dieu ». Les bétyles sont en effet des pierres dans lesquelles la divinité réside. Ce sont avant tout des aérolithes, des « pierres volantes », ou des « pierres animées », suivant le langage des anciens, douées d’un mouvement propre dont on ne s’expliquait pas l’origine ; puis des pierres volcaniques de forme bizarre, puis une pierre que l’on dresse en terre et sur laquelle, comme Jacob à Béthel, on fait une libation.

L’hymne homérique, si instructif pour l’origine du culte d’Hermès, nous le montre, à peine sorti du sein de Maia, s’élançant du berceau à la recherche des bœufs d’Apollon… Il revient, il se cache au fond de son berceau, couvre ses épaules avec ses langes comme un enfant en bas âge. Mais il n’a pu cacher sa fuite aux yeux de sa mère, qui lui parle en ces termes : « Enfant rusé, qu’as-tu fait ? D’où viens-tu pendant l’obscurité de la nuit ? Il se cache dans ses langes parfumés et reste enveloppé comme un tison caché sous la cendre. » On croirait que Damascius avait en vue cette description d’Hermès, lorsqu’il disait : « J’ai vu le bétyle, tantôt caché dans ses langes, tantôt porté dans les mains de son serviteur ; mais le serviteur ne saurait diriger les mouvemens de cette pierre emmaillotée. » Hermès est en effet l’ange céleste, le dieu qui vole, et son nom est resté si fortement attaché