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du séjour d’Iquique, ni du spectacle de ses débauches, ni de la vue de ses millions. S’il ne tenait qu’à moi, je les multiplierais : je changerais son sable en grenailles d’or, ses pierres en lingots, ses rochers en pépites. Ah ! tu nous a arraché notre bien, peuple de juifs portugais, ah, tu as soif d’argent ! Eh bien, en voilà, en voilà ! Prends, gorge-toi, crève !

Il s’était levé, le bras tendu vers la fenêtre, impétueux.

— Calmez-vous, lui dis-je.

Il se mit à rire :

— Je m’amuse, fit-il, et, Dieu me pardonne, je me croyais encore au parlement péruvien.

Il se rassit, alluma une seconde cigarette et continua :

— Ce que vous venez d’entendre, il faudra le répéter à vos lecteurs. C’est la vérité, caramba ! la pure et sainte vérité. Le condor chilien en a dans l’aile. Il mourra du dernier grain de salpêtre, comme un perroquet d’un brin de persil, et les Anglais l’empailleront, à moins que les Allemands, toujours affamés, ne le mangent aux confitures. Que vous importe à vous, Français ? Vous vous êtes, bien à tort, désintéressés de la côte américaine du Pacifique. Vous n’y avez point risqué de gros capitaux et votre influence y décroît chaque jour. Je ne le constate pas sans un vif regret : j’aime la France ; j’y ai vécu ; elle est ma seconde patrie et ma terre de prédilection. Et je rêve pour elle une conquête pacifique, dont je m’autorise à vous soumettre le plan.

Il s’arrêta pour savourer ma surprise, et, comme à sa grande déception peut-être je ne m’épanchais pas en remerciemens, et que mon absence d’enthousiasme menaçait de compromettre son éloquence, il s’avança vers moi et me saisit la main :

— Cher monsieur ! s’écria-t-il.

Et je lui répondis : — Cher monsieur ! — Et j’attendis avec curiosité.

— Il ne dépend que de la France, continua-t-il, de dominer moralement et de posséder industriellement le plus riche pays de l’Amérique du Sud. Ce pays, qu’on s’accorde à considérer comme ruiné, abonde toujours en mines d’argent, d’or et de cuivre. Bien qu’on l’ait exploité durant trois siècles, on n’en a pas encore exploré toutes les merveilles…

— Mais c’est du Pérou que vous me parlez ! m’écriais-je.

— Précisément.

— Hélas ! monsieur, je suis de votre avis ; votre patrie me semble privilégiée. Son nom est devenu pour nous synonyme de richesse, et il le restera longtemps. Mais quels capitalistes seront assez téméraires pour y commanditer des entreprises, que vos gouvernemens éphémères non seulement ne sauraient garantir,