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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/418

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sur ses intérêts à elle et lui persuader qu’ils sont les siens. Et le gouvernement crierait au peuple : « Nous avons trouvé l’objet de tes désirs. » Et le peuple le croirait et serait même enchanté de la perspicacité de ses ministres, et tout le monde y gagnerait, le peuple péruvien, les ministres et la France !

Il s’arrêta, passa son mouchoir sur son front, mais il reprit aussitôt :

— Quand je dis que la France pourrait éclairer le gouvernement péruvien, je donne au mot d’éclairer tous ses sens et principalement celui que les joueurs lui affectent. Je vous confesserai que je ne hais point les cartes et que le rocambole et le baccara ont abrégé un certain nombre de mes nuits. Eh bien, monsieur, lorsque vous vous asseyez à un tapis vert et qu’on vous prie d’éclairer, vous portez la main à votre poche. C’est surtout dans cette acception que le gouvernement péruvien désire être éclairé. Il juge qu’il n’y a point ici-bas de plus sûre lumière que celle de l’or. Nous avons nommé nos piastres soles, soleils, et logé ainsi la vérité dans une métaphore. C’est la monnaie, blanche ou vermeille, qui allume la lanterne de l’humanité. Je ne connais que deux choses, qui mettent de la flamme dans les yeux de tous les hommes, la vue d’une jolie femme et celle d’un billet de banque. La France devrait donc éclairer les maîtres du Pérou, et de telle sorte qu’ils ne pussent se tromper de route ni choir dans les ornières.

— Vous n’y pensez pas, lui dis-je ! La France se ruinerait en frais d’éclairage.

— Pas le moins du monde. Il s’agit simplement d’éclairer à propos. Quelques globes électriques valent mieux que des milliers de lampions. C’est une affaire de cinq cent ou six cent mille francs, ni plus ni moins.

— Par trimestre ?

— Pas même par an ! À chaque renouvellement normal des pouvoirs. Vous vous imaginez peut-être qu’un président et des ministres coûtent cher au Pérou ? Erreur, monsieur. Ils reviennent à bien meilleur marché qu’aux États-Unis ou dans la République Argentine. Avec 500 000 francs, je me chargerais de former un gouvernement à votre dévotion. Si notre pays est prodigieusement riche, nous, ses enfans, nous sommes prodigieusement pauvres. Pieroliste convaincu, je ne vous parlerai point de Piérola : mais regardez notre usurpateur actuel, le général Cacérès. Croyez-vous qu’il n’ait qu’à se baisser pour ramasser des rentes ? Le pauvre homme, que deviendrait-il sans sa femme ? Il a épousé pour son bonheur une métisse indienne qui ne rechigne point à la besogne. Du matin au soir elle élit domicile chez son pharmacien ; et c’est là, derrière le comptoir, qu’elle reçoit tous