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Playa-Blanca s’élève à l’extrémité sud de la baie. On y va en petit tramway. On traverse d’abord les faubourgs de la ville, inachevés et déserts, qui ont, comme à Iquique, une physionomie de champ de foire hérissé de baraques. Puis on longe la mer, au milieu de grèves poudreuses. Le tramway s’arrête dans un hameau sale, au pied de mamelons qui descendent en ondulations de la montagne à l’Océan. C’est là qu’est bâtie la forteresse de Sa Majesté l’Argent. Une vraie forteresse, en effet ! Elle est entourée de remparts en tôle, qui suivent les plis et les replis des dunes, et des cerbères en gardent les portes. Il faut exhiber ses papiers, pour en obtenir l’accès.

J’y suis entré ce matin vers 11 heures : le soleil brûlait, le sable, où je marchais, était à tel point surchauffé que je croyais enfoncer dans de la braise. De gros lézards dormaient entre les pierres. Pas une tâche d’ombre ; un silence infini, au sein duquel un fracas de forge titanesque. Devant moi, autour de moi, des remblais pâles, où des locomotives immobiles présentaient aux rayons du ciel leurs flancs convexes de boucliers noirs, des ponts de bois, des sortes de funiculaires, d’énormes bâtimens en forme de hangars, des tuyaux fumans, dominés par une cheminée plus haute que la colonne Vendôme, des montées pierreuses, des fondrières, des entassemens de charbons, des monceaux de pierres, une poudre, cendre grise, qui flotte au ras du soi comme une exhalaison, des visions de fours rouges, et tout en haut des chalets peints, dont les vitres sont autant de soleils. Entre ciel et terre voltige une fumée diaphane, moins qu’une fumée, une acre odeur d’acide sulfureux, qui prend à la gorge. On n’aperçoit aucune silhouette humaine. L’usine a l’air de marcher seule.

Il faudrait une semaine pour la visiter en détail ; mais le monstre m’effrayait, et je me suis promis de ne lui consacrer qu’une journée. Si j’y reviens, je ne me hasarderai pas à recommencer mes courses d’aujourd’hui, au milieu de ces chaudières et de ces ateliers tonitruans. L’usine de Playa-Blanca a été construite par la Compagnie de Huanchaca, uniquement pour travailler les minerais d’argent de Pulacayo. Pulacayo est en effet ou a été la plus riche mine d’argent non seulement de Bolivie, mais encore du monde entier. L’usine établie à sa porte, dans Huanchaca, ne parut pas suffisante, et les actionnaires eurent l’idée de lui donner une succursale sur le rivage même du Pacifique. Notez que Pulacayo se trouve au sommet des hauts plateaux, à près de 5 000 mètres d’altitude, et que le chemin de fer met deux jours pour y atteindre. Cette idée n’avait rien d’extravagant. En vertu du vieil adage que le minerai pauvre attend le charbon et que le minerai riche va le chercher, Huanchaca