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Son père, vieux pampino d’Atacama, découvrit des salpêtrières et des mines. Il fut riche et se vit indignement dépouillé de sa fortune et de ses découvertes. Les Latrille n’étaient pas de taille à lutter contre la fraude et la mauvaise foi. M. Latrille père, dégoûté des hommes, se réfugia dans une petite vallée des plateaux boliviens et jura qu’il ne descendrait plus au rivage de-l’Océan. Il tint parole et mourut sur les hauteurs. Mais il avait consacré son exil à une œuvre souverainement noble et pure : il évangélisa l’humble peuplade où il avait élu son tombeau. Il l’édifia par ses vertus et l’enrichit par son expérience. Elle apprit de lui comment on cultive les champs et comment on reste en paix avec sa conscience. Son souvenir demeure comme celui d’un patriarche biblique, « vêtu de probité candide et de lin blanc. »

Ses deux fils se montrèrent dignes de l’exemple paternel. Sortis-tous deux de notre Ecole des mines, le cadet s’établit à Tocopilla, et l’aîné, après avoir couru longtemps le désert, obtint la place de chimiste à Playa-Blanca. Chaque soir, avec une ponctualité d’horloge, il s’en retourne à la ville, où sa femme et ses enfans l’attendent, car, tout vieux garçon qu’il paraisse, il a une petite famille, qu’il aime encore plus que la science. Il faut l’entendre parler du désert, de ses nuits à la belle étoile ou sous la pluie, de ses marches forcées, de ses relations avec les Indiens, de ses misères, de ses découvertes et des malechances que la vie ne lui a pas épargnées.

Il en est une dont le récit m’a frappé. Latrille préparait un ouvrage sur Atacama et avait réuni une précieuse collection de tous les minerais de la province. Il rédigea un premier rapport, qui, présenté à une exposition de Santiago, lui valut un diplôme de premier prix et une médaille d’or. On lui envoya le diplôme ; la médaille ne vint point. Il écrivit au gouvernement chilien, qui lui répondit en l’autorisant à faire frapper lui-même une médaille d’or, qu’il achèterait sur ses économies. Les yeux naïfs de Latrille reflétèrent un immense étonnement. A quelque temps de là, le Congrès chilien se brouilla avec le président de la République et la révolution balmacédiste éclata. Dans les périodes insurrectionnelles, les Américains ne respectent rien, pas même les demeures des étrangers, surtout quand ces étrangers ne sont pas couverts par la protection immédiate de leur ministre. On entra chez Latrille, et le premier objet qui frappa les yeux des révolutionnaires fut son diplôme signé de la propre main de Balmacéda. Les imbéciles se crurent sous le toit d’un balmacédiste, détruisirent sa collection, déchirèrent ses papiers et s’en allèrent ravis de leur brillant exploit. Ils avaient jeté au vont le résultat de dix ans de labeur et d’intelligence. Latrille s’est