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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/444

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dira rien à ces chers êtres : ce sera une courte visite en dehors des permissions habituelles, après laquelle il disparaîtra. Il a compté sans son émotion, sans son énervement, qui le trahissent, qui le forcent à s’expliquer avec le major. Il sanglote le récit de la terrible scène, et le vieux soldat bondit sous l’injure.


— Où était ton sabre ? Tu ne l’as donc pas tué ?
(Fritz se tait, les yeux à terre.)
LE MAJOR. — Où était ton sabre ?
FRITZ. — Je… ne… l’avais pas… sous la main… mon père !
LE MAJOR. — Tu ne l’avais pas sous la main… Hum !… Maintenant, je comprends tout… Oui, il n’y a plus rien à faire… Et cette catastrophe est arrivée quand ?
FRITZ. — Hier soir, père.
LE MAJOR. — A quelle heure ?
FRITZ. — Il faisait encore… clair !
LE MAJOR. — Ha ! ha !
FRITZ. — Père, ne ris pas ! Aie pitié de moi.
LE MAJOR. — As-tu eu pitié de moi, toi ?… Ou de ta mère ?… Ou de… de… Regarde, regarde autour de toi !… Tout ici était arrangé pour toi !… Tout attendait après toi !… Depuis deux siècles, les Drosse ont amassé, épargné, et se sont battus avec la mort et le diable, pour toi seul !… La maison Drosse, tu la portais sur tes deux épaules, mon fils. Tu l’as laissée tomber dans la boue, et tu demandes encore qu’on te plaigne !
FRITZ. — Écoute, mon cher père… Depuis que tu sais tout, je suis devenu tout à fait tranquille… Ce que tu dis là, c’est vrai ; mais je n’en suis pas seul responsable. Rappelle-toi quand je suis venu te parler à propos d’Agnès, en qui j’avais mis tout mon cœur. Les autres femmes, alors, je m’en souciais comme du diable.
LE MAJOR. — T’ai-je poussé à t’occuper d’elles ?
FRITZ. — Oui, mon père, car qu’est-ce que cela voulait dire : « Vis un peu, mûris, fais ce qu’ont fait ton père et ton grand-père ?… » Au régiment, on t’appelle encore le terrible Drosse. On parle encore de tes aventures d’autrefois… On s’en raconte aussi qui sont moins anciennes… Moi, pour ma part, je n’avais pas la moindre envie de ces choses-là. Une femme qui ne m’appartenait pas me semblait un objet sacré… Le point de vue était peut-être naïf, mais si seulement tu me l’avais laissé ! Alors, avec Agnès…
LE MAJOR. — Tais-toi, par pitié, tais-toi !
FRITZ. — Tu vois, tu me dis aussi : « Par pitié ! » Père, je suis un mourant, je ne suis pas venu ici pour te faire des reproches ; mais ne m’en fais pas non plus.
LE MAJOR, l’embrassant. — Mon fils !… Mon tout !… Mon fils !… Je ne veux pas !…
FRITZ. — Silence, père, il ne faut pas que ma mère entende…


L’heure passe. Le témoin de Fritz vient le chercher. Il faut se dire adieu à demi-mots pour épargner encore à la mère malade quelques heures de souffrance. A voix basse, le major dit à Agnès :


— Dis-lui adieu, tu ne le reverras jamais !