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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/459

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topiques. Il invoque le respect de la vie humaine en faveur de ceux qui viennent de manquer gravement à ce respect… Que messieurs les assassins commencent !

Policiers et magistrats ont combiné leur action pour persécuter l’infortuné Forgeât. Tout enfant ils l’ont fait arrêter, sous prétexte qu’il n’avait ni domicile fixe, ni moyens d’existence, ni même une tenue décente. Arrêter un enfant ! quand on laisse aller en liberté les députés qui mendient des bureaux de tabac pour leurs électeurs et les ministres qui touchent des pots-de-vin ! Du petit parquet, on a expédié l’enfant sur une colonie agricole. Si vous nourrissez des illusions sur le système qui consiste à réunir les jeunes vauriens pour qu’ils mettent leur perversité en commun et se perfectionnent mutuellement dans le vice, ou si vous croyez encore à l’efficacité de la culture des navets pour l’amendement des âmes, lisez le Coupable. La description que vous y trouverez d’un bagne d’adolescens, et qui a bien l’air d’être de tout point exacte, est celle d’un enfer. Est-ce donc que M. Coppée préconise le régime cellulaire ? Il le stigmatise bien plutôt, et le tient pour une invention de tortionnaires raffinés, l’isolement étant la meilleure préparation à la folie furieuse. Il reconnaît d’ailleurs qu’il est difficile de placer les jeunes détenus dans les familles. En fin de compte, il ne sait trop qu’en faire et laisse aux philanthropes à se débrouiller avec les économistes. Il n’a pas de solution pour un si gravi ; problème, et, sur ce point comme sur bien d’autres, on ne peut, en bonne justice, lui reprocher de ne pas apporter la réponse décisive à des questions sur lesquelles l’humanité hésite depuis des siècles. Mais alors que signifient ces ironies féroces contre les criminalistes, inventeurs de systèmes et faiseurs de tableaux à double entrée avec accolades et reports ? Et quand on n’a pas de conseil à donner aux gens, a-t-on bien le droit de les invectiver ?

Au surplus, j’imagine qu’en toute cette affaire M. Coppée s’est laissé entraîner par la passion, et je ne crois pas qu’au fond il tende à supprimer les sergens de ville, licencier les tribunaux, tolérer le vagabondage et rendre à la liberté de leurs ébats les pupilles des établissemens pénitentiaires. Mauvaises ou médiocres, il est des institutions dont une société organisée ne peut guère se passer. Il importe moins de réformer les institutions que d’améliorer les mœurs, et la question sociale se ramène à une question de morale. Telle est bien aussi la thèse de M. Coppée. Il n’a guère de confiance dans l’efficacité des dispositions législatives pour ramener l’âge d’or, et quoiqu’il réclame qu’on inscrive dans le Code telle mesure comme la recherche de la paternité, il sait que tous les textes de lois sont impuissans contre un mal dont la cause profonde réside dans les cœurs. Si le peuple est démoralisé, la faute en est à l’égoïsme des bourgeois. C’est l’infamie des Lescuyer père et grand-père qui achemine les Chrétien Forgeat