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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/463

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idéal, c’est nous inviter à faire la même évolution, mais en sens inverse, et c’est nous dire : « Abaissez-vous ! »

Je devine bien que l’auteur du Coupable est fort éloigné d’avoir voulu mettre dans son livre ce qui y est en effet ; il a bien trop de douceur d’âme et il est trop bon enfant pour avoir la mine d’un perturbateur ; il n’aspire pas au renversement d’une société à laquelle il reprocherait difficilement de l’avoir traité comme une marâtre : il serait à souhaiter qu’il n’y eût pas de révolutionnaires plus redoutables que lui. Mais tels sont justement les dangers de la sensibilité ; on devient injuste à force d’être équitable, et violent à force d’être bon. M. Coppée découvre qu’il y a de par le monde des opprimés ; aussitôt il se porte à leur secours, et, n’écoutant que son instinct chevaleresque, il part en guerre. Il entend le bruit de la plainte humaine, et son sang ne fait qu’un tour. Il ne s’appartient plus, il n’est plus maître de lui, il envoie au diable la réflexion et le bon sens. Il aperçoit des plaies ouvertes : il les cicatrisera sur l’heure. Il oublie que les problèmes ne se résolvent pas au gré de notre impatience, que les questions ont plus d’un aspect, que tout se tient dans l’organisme compliqué des sociétés, que le progrès n’y consiste pas à remplacer une injustice par une injustice plus grande et qu’il y a des remèdes pires que les maux. Il a tort. Mais qui ne voit que son erreur est d’une espèce rare et de celles qui font à ceux qui les commettent infiniment d’honneur ? Cette générosité, même imprudente, même injuste, ne peut contribuer qu’à augmenter chez tous une sympathie qui, dans la personne de M. Coppée, s’adresse à l’homme excellent autant qu’au charmant poète. Le reproche que nous lui faisons passerait aussi bien pour le meilleur des éloges. M. Coppée n’est coupable que de trop de tendresse. Il est victime de son bon cœur.


RENE DOUMIC.