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LES REVUES ÉTRANGÈRES

Un roman posthume de Walter Pater[1]

Voici encore un roman posthume, et un roman inachevé. Avec le Weir of Hermiston, de Robert Louis Stevenson, que je signalais ici il y a quelques mois[2], ces sept chapitres de Gaston de Latour auront été, en Angleterre, le principal événement littéraire de l’année. Il semble d’ailleurs qu’un vent de mort soit en train de souffler sur les lettres anglaises. Poètes, romanciers, historiens, philosophes, tous les maîtres disparaissent pour ainsi dire d’un seul coup, sans laisser derrière eux personne qui puisse même prétendre à les remplacer : Tyndall et Huxley, Freeman et Froude, Browning et Tennyson, Stevenson et Pater, et cet admirable William Morris, dont la Défense de Guinevère restera le plus parfait chef-d’œuvre de l’art « préraphaélite », à la fois archaïque et nouvelle, naïve comme un fabliau sous l’éclatante richesse de ses rythmes et de ses images. M. Ruskin et M. Swinburne sont désormais les seuls survivans de la glorieuse lignée des grands écrivains anglais. Encore M. Ruskin est-il bien vieux, et M. Swinburne parait-il bien las. Qu’ils s’en aillent à leur tour, et le vide sera complet dans une littérature jusque-là si vivante : à moins que M. Rudyard Kipling se décide enfin à justifier les espérances de ceux qui naguère nous ont prédit en lui un nouveau Dickens, ou que M. Alfred Austin profite de sa situation de poète-lauréat pour écrire enfin quelque beau poème.

Du moins les Anglais savent-ils conserver pieusement le souvenir de leurs morts. Tennyson est aujourd’hui plus connu, plus admiré, plus adoré que jamais. Dickens continue à avoir plus de lecteurs que

  1. Gaston de Latour, an unfinished romance, par Walter Pater, 1 vol. ; Londres, Macmillan.
  2. Voyez la Revue du 1er août.