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de l’analyse psychologique, par l’élégance des images, et par la musique du style, Gaston de Latour est incontestablement le plus beau de ses livres. Et c’est encore celui, à coup sûr, qui serait le mieux fait pour intéresser le lecteur français, puisqu’il a un Français pour héros, et pour cadre la société française de la Renaissance. Pourquoi faut-il que cette prose si parfaite soit aussi la plus intraduisible de toutes ! Mais elle l’est, en raison même, sans doute, de sa perfection. Un lien mystérieux y enchaîne les idées à la forme verbale dont elles sont revêtues : traduites, le plus pur de leur charme en serait détruit. Et c’est à peine si nous pourrons essayer de citer quelques passages, çà et là, capables de donner une idée de l’action du roman, ou tout au moins d’en faire deviner la haute portée littéraire et philosophique.

Voici d’abord, dans une petite église d’un village de la Beauce, la première communion de Gaston de Latour. En présence de ses grands-parens et de toute leur maison, l’enfant prononce ses vœux, jurant de consacrer toute sa vie au service de Dieu. « Mais si ses gardiens avaient pu lire sous la candide ingénuité de l’enfance, ce garçon aux cheveux noirs, à la peau blanche et fine, debout devant eux avec un cierge dans la main droite, et le surplis replié sur son épaule gauche, ce garçon au maintien recueilli aurait tristement troublé leurs tranquilles et un peu étroites pensées, par des germes de sentimens étranges pour eux. Et de fait, certains de ces vieux prêtres qui étaient là s’étaient aperçus que l’enfant, avec toute sa piété et si ému qu’il parût, n’était pas absolument de la même sorte qu’eux. Aux qualités ordinaires de sa race, il joignait, — héritage, peut-être, d’un lointain aïeul, — d’autres facultés en puissance, qui pourraient bien ne pas s’accorder toujours aussi heureusement avec les exigences de la vie selon Dieu. Et il y eut un de ces vieillards qui, touché néanmoins de la ferveur qu’il lui voyait, lui recommanda, peu de temps après, une prière tirée de l’office des vêpres, une prière pour demander la paix, l’harmonie de son cœur avec lui-même. Sauf pendant une courte période de sa jeunesse, Gaston ne manqua pas un seul jour à la réciter. »

C’était cependant de son plein gré, et par l’élan naturel d’une âme éprise d’idéal, que Gaston avait fait vœu de renoncer au monde. Avant comme après ce jour, son enfance s’écoula dans le rêve et dans la prière, à peine entrecoupée, de loin en loin, par de rapides contacts avec le monde extérieur. Un soir, revenant au château pour le souper de famille, il vit sortir d’une auberge deux jeunes gens, deux frères, le visage en feu et la haine aux lèvres. Ils s’étaient pris de querelle au sujet d’un bien que leur père leur avait laissé. « Je serai ton ennemi jusqu’à la mort ! » s’était écrié le plus jeune, en s’enfuyant dans les