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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/526

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représentés, des « intérêts particuliers » ! Et l’intérêt public, général, national, qu’en fait-on ? — Mais plutôt, qui trompe-t-on ici ? Nos sénateurs, nos députés, s’ils n’étaient pas, en forte majorité, les commissionnaires médaillés de leurs comités, de leurs coteries, de leurs cafés et de leurs loges ; s’ils dépassaient le cercle de leur arrondissement et si parfois ils perdaient de vue le clocher de leur chef-lieu, auraient le droit de témoigner d’une vertueuse indignation ; mais ce droit, ils ne peuvent l’avoir puisque, maintenant déjà, ils ne représentent que des « intérêts particuliers », et des « intérêts » minuscules, et des « intérêts » qui ne sont pas toujours hautement avoués.

Avec le système que nous proposons, si ce sont des intérêts encore qui seraient représentés, ce seraient toutefois, à voir les choses en leur réalité, des intérêts moins particuliers, et, dans tous les cas, il y aurait moins d’intérêts particuliers représentés ; on peut dire qu’il n’y en aurait que sept, comme il n’y aurait que sept groupes professionnels ; mais dussent-ils se subdiviser par régions et par métiers, ils seraient infiniment moins menus que ceux qui l’emportent aujourd’hui : ce ne serait plus une poussière d’intérêts flottant au-dessus d’une poussière de suffrage.

Mais qu’importe, reprend-on, qu’il y en ait moins, si chacun d’eux est plus tenace, plus ardent, et s’ils sont vis-à-vis l’un de l’autre en un perpétuel et inapaisable conflit ? Ce n’est point ici, on le répète, le lieu de discuter sur les détails ; sans quoi, l’on montrerait qu’en supposant fatalement contradictoires les intérêts de tel et tel groupes, les intérêts de l’agriculture, d’une part, et, d’autre part, de l’industrie ou du commerce, l’équilibre naturel des forces est si bien établi qu’ils seraient en balance, — car l’agriculture compterait 225 représentans dans notre Chambre de 500 membres, et l’industrie, le commerce, les transports en compteraient 229, — et ainsi ce seraient les professions libérales, plus désintéressées, qui les départageraient par leurs 46 voix.

Il suffira peut-être de faire observer que croire à ce point les intérêts des divers groupes fatalement contradictoires, irréductibles et inconciliables, est d’une psychologie assez superficielle. Combien l’étude approfondie des institutions et des sociétés avait appris à sir Henry Maine à en juger mieux, lorsqu’il affirmait : « L’histoire politique nous enseigne que, de tout temps, les hommes se sont querellés avec plus d’acharnement à propos de phrases et de formules qu’à propos d’intérêts matériels proprement dits[1] ! » C’est là que nous en sommes : aux enragées

  1. V. sir Henry Sumner Maine, Essais sur le gouvernement populaire, trad. franç., p. 179.