Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/532

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

législatif, d’un grand Conseil d’État, toujours obligatoirement consulté, serait considérable en soi, et parce qu’elle en permettrait ou en faciliterait d’autres.

Une fois ce frein, ou ce régulateur, mis par en haut aux excès de la démocratie, peut-être pourrait-on user, prudemment et mûrement du référendum. On n’exprime ici qu’un « peut-être ». Mais sûrement, et quelque réforme profonde qu’on opère et dans le suffrage universel et dans le partage des attributions législatives, cette réforme gagnerait à être précédée, accompagnée ou suivie de mesures qui la compléteraient, parmi lesquelles la réduction du nombre des députés et de la durée des sessions, la réglementation du droit d’initiative et du droit d’interpellation ; plus encore, — réformes dans les mœurs, sinon dans les lois, — le rappel de quelques commissions des Chambres, et des Chambres elles-mêmes, à leur véritable rôle ; et, plus encore, la reprise par le gouvernement du sens du gouvernement. — Voilà bien des choses à changer et bien des choses à refaire : les « gens pratiques » en reculent épouvantés, et sans doute l’on donnerait raison aux gens pratiques, si l’on ne savait pas que ce sont ceux-là mêmes, qui, depuis vingt-cinq ans, s’obstinent à fonder une démocratie sans organes de démocratie, croyant naïvement que, par un privilège singulier, elle peut vivre et grandir à l’état inorganique.

Nous croyons, nous, qu’elle ne vivra et ne grandira que si elle s’organise ; si elle organise le suffrage universel qui est sa condition, et le régime parlementaire qui est, pour le moment, sa forme d’être. Nous avons essayé de dire comment, selon nous, elle pourrait organiser l’un et l’autre, de façon à réaliser le type de l’Etat moderne, qui devrait être tout ensemble très démocratique, très stable et très progressif. Maintenant, nous concevons sans peine qu’un changement aussi radical dans le suffrage universel que nous avons, et dans le régime parlementaire que nous avons, les remuerait, les retournerait, les réformerait et les transformerait de fond en comble. Ni le corps électoral, ni les corps élus, ni le suffrage universel, ni le régime parlementaire ne resteraient tels que nous les connaissons. Mais tels que nous les connaissons, on peut bien convenir aussi qu’il n’y a pas à se faire scrupule d’y toucher. Puisqu’on juge l’arbre à ses fruits, l’arbre est jugé et condamné. Et, lorsque, après un temps plus ou moins long, de pas en pas et d’effort en effort, l’État moderne sera organisé, ce que l’on ne comprendra pas, c’est que de grands peuples aient pu tolérer si patiemment l’expérience, qui ne pouvait aboutir qu’au règne de la