Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/531

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

concevons, y serait moins apte : aussi, dans la confection de la loi, où tous les trois collaboreraient, la part de beaucoup la plus importante serait-elle réservée au Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat ne pourrait faire aucune loi sans l’assentiment des Chambres, mais les Chambres non plus ne pourraient faire aucune loi sans le Concours effectif du Conseil d’État ; chacun de ces organes s’appliquerait à sa fonction, qu’il remplirait mieux ; et les Chambres, élues selon notre système, nous donnant déjà une meilleure représentation, le Conseil d’État nous donnerait une législation meilleure.

Dans le Conseil d’Etat légiférant, les professions libérales reprendraient le terrain qu’elles auraient cédé dans la Chambre des députés ; et l’on échapperait ainsi au grief de « décapiter la nation » en ne laissant à ces professions que tout juste le nombre de sièges auxquels leur donne droit la pure proportion arithmétique des électeurs aux représentans. Si, en effet, elles n’étaient représentées que dans la Chambre, et seulement en proportion arithmétique, on pourrait dire que les professions libérales seraient sacrifiées, et, en un certain sens, que la nation serait « décapitée » du même coup. Mais, moins étroitement représentées au Sénat, et surtout, dans le Conseil d’Etat, plus largement représentées, par ce qu’elles peuvent produire de plus élevé, elles retrouveraient là leur influence légitime, à la place où elles peuvent le plus utilement l’exercer.

Loin donc de la « décapiter », — de même qu’en traçant des cadres au suffrage, on referait des os à la nation, — de même, on constituant sur une pareille base ce grand Conseil d’Etat légiférant, on referait une tête à la démocratie. On y introduirait cette dose d’aristocratie sans laquelle une démocratie ne saurait durer, et dont la formation est peut-être pour elle la première des nécessités. Dans le Conseil d’Etat se réfugierait la culture supérieure, en toute démocratie objet d’une méfiance jalouse ; dans le Conseil d’Etat, l’élite serait défendue contre la foule ; la foule serait défendue contre elle-même ; et rien n’empêcherait de laisser davantage à l’action directe ou à l’impulsion de la démocratie, puisqu’on aurait un frein plus sûr aux excès de la démocratie.

La création d’un corps légiférant d’une qualité éprouvée est d’autant plus nécessaire que la loi, comme on l’a remarqué, est ou devrait être, en dernière analyse, dans l’Etat moderne, la suprême puissance ; et par suite, il ne peut être indifférent qu’elle soit bonne ou mauvaise, claire ou obscure, logique ou incohérente, intelligible ou inintelligible, applicable ou inapplicable. Cette seule réforme, l’adjonction aux deux Chambres élues, pour leur travail