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vierge positiviste, sa patronne, la céleste Clotilde, son ange, la prêtresse de l’humanité, la médiatrice entre le grand être et le grand prêtre. » Un tribunal a décidé juridiquement que l’auteur de ces litanies n’était pas fou. Inclinons-nous devant la chose jugée. Il n’était qu’affolé. J’ai connu le frère de Clotilde, il était géomètre et doué de l’esprit, je n’ose pas dire, du génie d’invention. Par une singularité dont je ne veux rien conclure, sa vie a ressemblé d’une manière très singulière à celle d’Auguste Comte.

Maximilien Marie était, comme Comte, élève de l’Ecole polytechnique. Comme lui, il renonça aux carrières publiques et assura comme lui son existence matérielle en donnant des leçons de mathématiques. Sans s’occuper beaucoup à les préparer, il écrivait, comme Comte, des articles de philosophie sociale, d’économie politique et de politique très libérale. Il entreprit, comme lui, de diriger un journal, et quelques numéros de la France libre épuisèrent ses économies. Marie devint répétiteur à l’Ecole polytechnique, sur la présentation de Poncelet, comme Comte l’avait été sur celle de Navier. Comme Comte, il brigua, sans les obtenir, les fonctions de professeur, et, comme lui, devint examinateur d’admission. Il comptait, comme Comte, autrefois, des camarades d’école dans les conseils ; il les accusait, comme faisait Comte pour les siens, de malveillance et d’envie, et les maltraitait dans des pamphlets qu’on disait spirituels et que je n’ai pas le droit de juger. Lorsqu’il atteignit l’âge de soixante-dix ans, l’application des décisions relatives à la retraite parut douteuse pour lui, à cause précisément de la réélection annuelle ; le cas fut soumis au conseil de l’école, et comme pour Comte autrefois, on discuta très vivement sur l’opportunité de la réélection. Par un dernier trait de ressemblance, il admira Comte, comme Comte avait admiré Saint-Simon, et, comme lui, renia son maître, en regrettant de l’avoir connu.

On me permettra de rappeler un souvenir. Maximilien Marie vint un jour m’apporter un livre de lui, en me priant de le lire. J’acceptai le livre, mais notre ancienne camaraderie m’autorisa à lui déclarer, sur un ton moitié sérieux moitié plaisant, que je m’abstiendrais de lui dire mon avis sur des matières qu’il croyait connaître beaucoup mieux que moi.

— Comment ! s’écria-t-il en éclatant de rire, sur une théorie dont je m’occupe depuis dix ans, tu n’admets pas que j’en sais plus que toi ? — J’admets au moins, que tu en es certain, lui répondis-je, mais sur ce point, comme sur le mérite de ton livre je ne te donnerai pas mon avis. — Marie, très mécontent, me força au moins à discuter ses principes. J’osais les contester ; il