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et sans valeur, il se dispensait de venir, et s’accordait chaque année, sans prévenir les chefs de l’école, plusieurs semaines de congé.

De tels griefs sont bien misérables, j’en conviens ; mais existe-t-il, dans tout l’Occident et même en Orient, une école militaire où on pût les tolérer ?

Cependant, par crainte d’une apparence de persécution, le directeur des études, ancien camarade de Comte, fermait les yeux. Le général ne voulait rien savoir, et le pouvait, aucun rapport ne lui étant adressé ; lorsque Comte, dans je ne sais quelle occasion, il s’agissait, je crois, d’obtenir, comme fonctionnaire du ministère de la guerre, le droit de voyager sur un chemin de fer en payant quart de place, data sa lettre du 13 Aristote 63, le général, qui n’avait jamais entendu parler du calendrier positiviste, demanda l’explication, et raconta autour de lui que le répétiteur d’analyse avait un fort coup de marteau. Lorsque la réélection annuelle des répétiteurs fut soumise au conseil, c’est sans étonnement et sans regret qu’il mit aux voix la proposition de lui donner un successeur.

Auguste Comte, en 1845, rencontra Mme Clotilde Devaux qui, mariée comme lui, se trouvait affranchie comme lui de tout devoir conjugal. Clotilde était âgée de 30 ans. Comte, se croyant très supérieur à Dante, lui fit l’honneur de la choisir pour sa Béatrice et l’invita, par amour de l’humanité, à devenir l’inspiratrice et le foyer de son génie. Chaque jour, il lui écrivait, et dans des lettres dont quelques-unes avaient vingt pages, il lui enseignait l’importance fondamentale du mariage et la nécessité d’en corriger les inconvéniens accessoires et exceptionnels.

La passion de Comte pour son amie, et son désespoir quand il eut la douleur de la perdre, rappellent l’émotion de d’Alembert après la mort de Mlle de Lespinasse. Une différence est à noter. D’Alembert ne s’adresse pas au public, c’est pour lui-même, et en secret, qu’il exprimait ses cruels chagrins. Comte s’adresse à l’Occident. « Fatigué de son immense course objective, son esprit ne suffisait pas pour régénérer subjectivement la force systématique dont la principale destination était devenue plus sociale qu’intellectuelle. Cette indispensable renaissance, qui devait émaner du cœur, lui fut procurée par l’ange incomparable que l’ensemble des destinées humaines chargea de lui transmettre dignement le résultat général du perfectionnement graduel de notre nature morale. »

Comte dans son testament, nomme Clotilde Devaux « sa véritable épouse, sa sainte compagne, la mère de sa seconde vie, la