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la cour la plus brillante, jouir de ce que l’hospitalité, la courtoisie, la camaraderie, l’amitié, offrent de meilleur, recevoir beaucoup, ne rien pouvoir rendre, vivre enfin comme au-dessus de la vie dans un monde féerique, où tout soit réalisé avant le désir et dépasse les plus beaux rêves, mais au demeurant ébloui, charmé, lassé, se sentir loin de ce peuple ami et figurer en indifférent au contrat religieux que cet empereur va passer avec son empire ; tel est le rôle offert ; peut-on s’en contenter ? Qu’importe l’éclat du tableau, si nous n’en apercevons pas la signification commune ? Que serait la pompe de la cérémonie sans la nécessité du sacrement ?

Mais se hausser jusqu’à une participation plus vraie et plus sympathique ; regarder, s’il se peut, avec des yeux russes, et derrière la fête étrangère reconnaître l’événement national : là est l’intérêt ; là, le devoir.

Là aussi le difficile problème, car une autre nationalité ne s’improvise pas plus qu’une autre conscience ; un moujik sera ici meilleur témoin que l’observateur le plus érudit et le plus attentif. Pourtant, à défaut d’un instinct historique lié aux croyances, reçu avec la vie, l’intelligence peut encore s’appliquer à l’étude du phénomène ; elle cherchera dans la consécration d’un pouvoir la consécration d’une idée. Comment ce couronnement solennel est-il devenu une nécessité sociale, une loi des mœurs, un besoin des consciences, enfin, le fait naturel qui n’interrompra pas le train journalier de cette ville morfondue là dans le brouillard ? Il faut interroger là-dessus Moscou même, l’être sans durée, la vivante énigme qui mêle à ses jours présens le mystérieux prestige du passé.


II

Les géographes font observer que Moscou était au moyen âge le centre de trois grandes voies commerciales divergentes : la voie de la Baltique et des villes hanséatiques ; la voie du Dnieper, de Kief, de la Mer-Noire, du commerce oriental ; la voie de Nijni-Novgorod et de la Volga, laquelle se rattachait à la Sibérie par la piste des caravanes, à la Boukharie par l’intermédiaire de la mer Caspienne. Ils notent au fur et à mesure des événemens historiques la multiplication de ces chemins rayonnans, et d’abord, à une époque où la Russie, purement terrienne, n’avait encore aucun regard sur la mer, l’ouverture de la Mer-Blanche au commerce anglais et la singulière apparition de Chancelor à la cour d’Ivan le Terrible ; ils suivent le développement du noyau moscovite, à mesure que ces voies naturelles se fixent, se ballastent, se ferrent, et deviennent le réseau circulatoire embranché main-