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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/595

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tenant sur ce cœur national. Les ethnographes observent que Moscou tient le milieu entre deux masses imparfaitement russifiées encore, d’une part les élémens polonais, petits-russiens, juifs de la Russie occidentale, de l’autre les populations musulmanes éparses sur la Volga, ou répandues à l’infini dans l’au-delà de l’Oural. Pour les historiens, Moscou est la capitale naturelle de la Russie ; occupant le centre de gravité d’un triangle marqué par ces trois sommets, Kief, Pétersbourg et Kazan, elle est le point prédestiné où viennent se composer ces trois forces, la Russie d’autrefois, l’Europe d’aujourd’hui et l’Asie de demain.

Dieu sait ce que valent ces raisons. Au moins ne feront-elles pas que Moscou n’ait pas trouvé dans la guerre la cause unique et la loi fatale de sa croissance. C’est là ce qu’il faut montrer, ne fût-ce que d’une manière rapide et discursive.

C’était au XIIe siècle ; Kief demeurait le centre nominal de la Russie, mais l’empire se morcelait en apanages dont les possesseurs contendaient entre eux pour la possession de la capitale ; Youri Vladimirovitch, qu’on appelait Dolgorouki (Longue Main), avait Souzdal et Vladimir. Le premier, il remarqua cette colline au milieu des bois ; auprès coulait une Moskva plus puissante alors qu’aujourd’hui, car elle drainait les eaux d’une vaste forêt ; c’était un portage et c’était un carrefour ; mais surtout, c’était, près de la frontière et dans la direction de Tver, un important point stratégique. Des villages établis là appartenaient au boyar Koutchko, lequel, résistant à l’expropriation, paya de sa vie cette résistance ; ainsi l’acte préliminaire de la fondation de Moscou fut un acte d’autorité et de violence, le premier poteau de la forteresse de bois s’enfonça dans une mare de sang. Cent ans, le chroniqueur se tait sur l’obscure place d’armes ; mais tout d’un coup elle brille, elle est en flammes ; les Tartares sont venus, ils ont fait de la ville un tas de cendres et du voévode un martyr. Relevée sans retard, Daniel Alexandrovitch, — un des fils d’Alexandre Nevsky, le saint Daniel du calendrier russe, — la dote de l’église du Sauveur dans la Forêt ; et dès lors, l’idée religieuse et l’idée militaire étant symbolisées en elle, l’indication de Moscou est complète.

Cependant Kief, fondée trois siècles auparavant par les princes Varègues, et base de leurs conquêtes progressivement étendues vers le sud, Kief, qui regardait alors vers Constantinople comme Moscou va regarder vers la Horde, et comme plus tard Pétersbourg regardera vers l’Europe, Kief, ville marchande, littéraire, chrétienne, point militaire, Kief ruinée par les Tartares, disparaît pour tout un siècle. Le centre politique se porte, par une attrac-