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III

Ainsi « Moscou est le temple de la Russie, et le Kremlin en est l’autel[1] », ainsi le couronnement tout entier n’est qu’un rite célébré dans ce temple et devant cet autel. D’Ivan le Terrible à Nicolas II, assez d’exemples ont confirmé une tradition assez vieille : le rite se trouve aujourd’hui déterminé jusque dans ses moindres détails.

Le premier épisode doit être une entrée du souverain dans Moscou ; cette règle s’est naturellement introduite du jour où la volonté de Pierre a transféré dans Pétersbourg la résidence impériale. L’usage veut aussi que le souverain marque un temps d’arrêt aux portes de la ville ; depuis Paul Ier, cette halte s’est faite d’habitude au palais Pétrovsky.

Catherine II fit élever ce palais à la mémoire de la paix conclue en 1771 avec les Turcs ; elle le voulait de style gothique. Peut-être l’architecte Kasakof crut-il exécuter l’ordre de la souveraine ; mais le palais n’est pas gothique. Le château s’enveloppe d’un double avant-corps, et ne découvre que sa façade entre ces deux ailes circulaires, basses, symétriques ; on trouve, il est vrai, sur ce pourtour des fenêtres ogivales dont le contour, blanchi à l’enduit, contraste avec l’appareil de briques, mais deux campanules cannelés bornent l’entrée, et deux tours rondes, sur un socle polygonal, s’attachent à la construction ; de même, la façade se double d’un balcon porté sur des colonnes trapues tout à fait russes, et c’est à peine si le motif de l’ogive revient artificiellement broder le pourtour de la rotonde centrale.

Ce palais, que longe la chaussée de Pétersbourg à Moscou, était vraiment le point d’arrivée à l’époque où l’on voyageait en poste ; il se trouve aujourd’hui plus éloigné de la ville que ne sont les gares ; en sorte que l’Empereur, arrivant au débarcadère de Brest, doit monter en voiture et parcourir une verste en rebroussant chemin.

Donc le 6 mai, vers 6 heures et demie du soir, le train impérial s’arrête devant le pavillon de bois spécialement édifié ; Leurs Majestés descendent, et quelle autorité locale, quel rassemblement de grands dignitaires pense-t-on qu’elles rencontrent sur le quai ? Un seul général, commandé de service, se porte au-devant du souverain et nomme la troupe réunie ici en armes : dans la gare même, une garde d’infanterie, et dans la cour, sous la pluie, l’esca-

  1. Paroles de l’Empereur Alexandre III.