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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/604

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chaire religieuse et de tribune politique ; elle a vu la confession publique d’Ivan le Terrible et l’attendrissement du peuple aux larmes du tsar. Là le faux Dmitri parut devant la foule pour se justifier ; là fut lacéré son cadavre ; et c’est là qu’à la fin des troubles on proclama solennellement Mikaïl Féodorovitch. L’endroit perdit ensuite de sa signification populaire ; il arrive qu’une nation délaisse un lieu longtemps habituel, comme l’homme, en changeant d’âge, rejette les objets qui lui étaient le plus familiers. Pourtant, on ne cessa pas d’exposer au Lobnoe mesto les césarévitchs parvenus à l’âge de 15 ans, afin que le peuple les connût et les distinguât des imposteurs ; et la procession du dimanche des Rameaux, dans laquelle le tsar lui-même conduisait par la bride l’âne du patriarche, continua de se former là.

Nous sommes à l’extrémité de la place, auprès de l’église Saint-Basile : c’est ici que l’empereur doit tourner à droite pour, entrer au Kremlin. Un bataillon du régiment Préobrajensky occupe la porte même du Sauveur ; ils sont ici chez eux, ces préobrajensky, ayant eu pour première résidence ce village de Préobrajensky où Pierre le Grand, encore adolescent, se formait à l’école des soldats ; il était alors exilé par l’imprudente Sophie qui ne savait pas quel bec et quelles serres poussaient à cet aiglon. La compagnie des grenadiers fait face à la porte, puis c’est l’École des cadets de Moscou ; au-delà, les régimens Finlandsky et Séméonovsky sont les premiers sur le long cordon, — cordon ombilical qui rattache cette majesté nouvelle à l’ancienne matrice du Kremlin.

Le grand-duc Vladimir Alexandrovitch, commandant les troupes de la garde, et, de plus, commandant extraordinaire de toutes les forces réunies dans Moscou, passe avec une suite et s’éloigne vers la rue de Tver. À chaque régiment il jette le salut d’usage, d’une voix libre et fière, avec un sourire :

— Bonjour, Finlandskie !

— Bonjour, Votre Altesse Impériale !

Aux commandemens, aux alignemens, aux roulemens des dernières voitures rapidement emportées vers Pétrovsky, succède un brouhaha vague et croissant, qui trahit l’impatience et l’impressionnabilité de la foule ; les tribunes étagées à gauche vers les murs rouges du Kremlin, à droite vers la façade blanche des