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riady[1], et qui réduisent la place à n’être plus qu’une avenue, sont pleines d’une foule instable et bariolée. Les représentans des classes rurales, ceux que l’expédition des cérémonies appelle les baillis des cantons, forment un saisissant mélange de types et de costumes ; de tristes figures du nord, un Jmoude, un Samoyède représentent ces groupes écartés, attardés, que la Russie n’a plus le temps d’instruire et qu’elle doit fatalement étouffer ; une race meurt dans leurs yeux. Mais derrière eux, aux fenêtres, de fraîches toilettes, de jeunes visages rayonnent l’impatience et la joie, tandis que les grands vélums tricolores suspendus aux mâts caressent d’un mouvement calme cet inquiet tableau.


Voici plus d’une heure que la cloche de l’Ouspiensky sobor a jeté son premier appel et que celles de la ville, en lui répondant, se sont mises à sonner l’instant historique. Tout à coup un même commandement, qui va se répétant tout le long de la troupe, la redresse et, de là, gagne la foule en frisson de plaisir. La tête du cortège paraît sous le porche.

Derrière le maître de police qu’accompagne un peloton de gendarmes, le convoi spécial de l’Empereur, cosaques du Térek et du Kouban, à l’éclatant costume rouge rehaussé d’argent et d’or, défile, la carabine sous le bras droit ; le luxe des armes, la fierté des attitudes, et, malgré la beauté des visages, quelque chose de cette précieuse sauvagerie qui rend la Russie si redoutable, distinguent cette troupe d’élite. Puis Cosaques du Don et Cosaques du régiment de Sa Majesté, tenant en main leurs piques rouges, précèdent un groupe de figures plus mystérieuses ; ce sont les députés des peuples asiatiques placés sous la suzeraineté de la Russie. L’émir de Boukhara, qui va de pair avec le khan de Khiva, porte une prodigieuse robe de brocart violet ; un moulla kalmouck est rouge cardinal : et voilà donc cet Orient avec lequel nous devons désormais nous rencontrer ici. Les députés des troupes cosaques sont vêtus de tcherkesses presque uniformes ; rassemblés ici sous un costume pareil et sous une appellation unique, ils s’échelonnent cependant du Don à l’Amour sur cent degrés de longitude.

Puis, tout de suite, sans transition, une impression d’Europe, d’une Europe ancienne et monarchique : un parti de gentilshommes à cheval, dans le costume le moins équestre du monde, car ils portent le pantalon gris perle à la bande d’or, l’habit chamarré et le chapeau à plumes, passent derrière le maréchal de la noblesse moscovite. Un fourrier de la chambre, à cheval, précède la maison

  1. Halles où des boutiques de tout genre sont disposées par rues parallèles.