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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/614

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groupe brillant ; la robe rouge d’un cardinal succède à des uniformes français ; les étoffes et les broderies chatoient, les décorations chargent les poitrines, les diamans ornent les chevelures ; sur tous les visages, un air de cour.

Cependant, une longue colonne d’uniformes chamarrés se forme en avant du Perron. Le métropolite de Moscou, entouré de prêtres aux ornemens d’or, paraît sur le parvis de l’église. Un même geste court sur toute la haie des chevaliers-gardes : sabre au clair ; et les cloches tintent, l’hymne populaire éclate ; l’Impératrice Marie Féodorovna vient de paraître au bas de l’escalier. On avance vers elle le dais de drap d’or aux énormes panaches jaunes et noirs ; le cortège qui la précède se développe, gentilshommes de la maison des grands-ducs, gentilshommes à la suite des princes étrangers, premiers rangs de la Cour. Huit personnages, pris parmi les plus anciens des troisièmes rangs, portent le baldaquin sous lequel marche l’auguste veuve ; les grands-ducs et les princes étrangers le suivent ; puis viennent les dames de la cour, les demoiselles d’honneur de l’impératrice, celles des grandes-duchesses, confondues pour nous sous l’uniforme costume russe : kakochnik d’où tombe un voile, robe de velours rouge aux broderies d’or.

Un instant la scène reste vide, et seule s’élève dans un demi-silence cette éternelle voix des cloches qui a parlé déjà à tant de générations. On l’éprouve fortement alors, cette impression dont parle Pouchkine ; le Kremlin frappe l’âme et fait taire la raison. Le regard qui erre interroge les monumens pareils depuis qu’ils ont vu passer le premier Romanof et retrouve par-dessus leurs faîtes un coin de nature constante, étrangère aux prestiges d’ici-bas. Le soleil a monté ; des nuages rapides dégagent le champ bleu du ciel ; des cris d’oiseaux se mêlent aux appels répétés du bourdon. Et toujours, par intervalles réguliers, pareille aux battemens d’un cœur, cette note basse et vibrante tombe du haut du clocher ; elle berce, elle ébranle, elle excite, elle émeut, elle est la dominante autour de laquelle chante toute la symphonie des sentimens.

Un parti de chevaliers-gardes et de pages est entré au temple en ordre cérémoniel ; le chapelain de l’Empereur sort accompagné par deux diacres ; il bénit le chemin que Sa Majesté suivra. L’hymne qui retentit à nouveau marque la mise en marche du solennel cortège ; et d’abord, ce sont les files sombres des paysans, représentans de la terre russe, ou des bourgeois délégués de la ville de Moscou. Puis des uniformes succèdent : membres du ministère de la cour, députés des troupes cosaques, maréchaux de