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L’Impératrice, qui marchait jusqu’alors invisible sur les pas de l’Empereur, se range près de lui au bas du Perron Rouge ; les deux souverains gravissent les marches solennelles. Leurs manteaux, soutenus à droite et à gauche, les enveloppent de plis vastes ; les diamans de leurs couronnes jettent des feux. Derrière eux, une foule véritable, car les compagnies les mieux choisies arrivent par le nombre même aux propriétés physiques de la foule, suit d’un mouvement dense et puissant qui renverse les chevaliers-gardes debout sur les degrés ; le métropolite, emporté, ne peut rebrousser chemin jusqu’à l’église ; il regarde la montée nombreuse des aigrettes, des plumets, des rubans, des épaulettes, des bijoux ; c’est toute la Russie, c’est toute l’Europe attachée au maître universel, et qui se hâte ambitieusement sur ses traces par l’escalier de l’honneur et du pouvoir.

L’usage veut que l’Empereur s’avance sur la terrasse du grand palais jusqu’au parapet d’où l’on domine la Moskva, les quais, la ville entière, et qu’il se montre de là au peuple massé dans les rues, aux fenêtres, sur les toits. Ce dernier acte est accompli et toute cérémonie suspendue, quand nous pénétrons dans les immenses salles. C’est étrange, après des impressions si répétées et si pressantes, de trouver là tant de calme et tant de liberté. Plus d’un personnage tombe fatigué sur les banquettes jaunes et noires de la salle Saint-Georges ; les deux hérauts du couronnement, habitués déjà à leur costume archaïque, le chapeau emplumé jeté sous le bras, causent gaiement avec deux maîtres des cérémonies ; nous circulons dans l’allée que tracent des gardes à cheval, leurs casques déposés sur le parquet ; des cosaques du Convoi, superbes cariatides rouges, prolongent la gauche de cette haie. Dans la salle Saint-Vladimir, les élèves des écoles militaires et les cadets attendent, appuyés sur leurs armes ; la salle Saint-Alexandre est occupée par les chevaliers-gardes ; les uhlans de l’impératrice Alexandra Féodorovna forment un piquet dans la salle du Trône. Les régales, sur lesquelles veillent deux grenadiers, sont à leur place ; une chaîne massive entoure la table qui les supporte ; c’est un fragment de la chaîne historique forgée avec l’argent de Kazan assez longue, dit-on, pour entourer toute la Place Rouge.

Le grand-duc Vladimir, qui sort des appartemens impériaux, s’approche, prend la couronne, et la retourne en différens sens. « Il paraît qu’un des gros diamans est tombé ? » dit-il. À ce moment, les maîtres des cérémonies commencent à frapper le parquet avec leurs cannes : l’Empereur va passer de nouveau, se rendant au repas du tsar.

C’est un vieil usage, né de cette conception primitive, tou-