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jours vivace, d’après laquelle le souverain russe est le père et le nourricier de ses sujets ; l’Empereur, revêtu du manteau, assis sous un dais, fête ses dignitaires dans la salle de la Granovitaïa Palata.

Jamais, depuis les héroïques bombances du moyen âge, cette salle antique n’a changé de destination ; mais elle avait perdu dans la décoration cet aspect purement russe qui convient au caractère russe de ces solennités. De vieux dessins, heureusement retrouvés sous des enduits plus récens, ont été l’objet d’une restauration soigneuse dès l’avènement d’Alexandre III ; ainsi la salle actuelle est en réalité un monument de ce dernier grand règne, qui fut pour la Russie un retour sur soi-même et la juste revendication de son indépendance artistique et intellectuelle.

Quatre voûtes profondes, qui se recoupent deux à deux, couvrent cette aire carrée ; elles tracent sur chaque mur deux cintres égaux, successifs, et forment quatre berceaux pareils ; un pilier carré lui-même, central, sur lequel appuient les berceaux, porte cet ensemble complexe et symétrique. Sur les surfaces convexes et découpées de cette couverture se répand une ornementation dorée, polychrome, que des profanes pourraient croire soit hindoue soit persane, et qu’il faut reconnaître pour orientale. Un riche parquet, centré sur le pilier comme l’est le plafond, va répétant quatre fois un grand motif étoile ; les trois sièges impériaux, surélevés, sont sous un baldaquin au couronnement pyramidal. Un dressoir à quatre faces est adossé au pilastre ; les tables s’étendent sur tout le pourtour de la salle.

Cependant le cortège parti du trône même s’avance, précédé par les hourrahs. L’Empereur, couronne en tête, sceptre et globe en mains, vient d’abord ; les deux Impératrices marchent de front, couronnées, suivies d’assistans et de pages ; les princesses étrangères succèdent sur deux files. Entrées à la Granovitaïa Palata, Leurs Majestés prennent leurs places et déposent leurs couronnes ; des officiers supérieurs, appartenant à la noblesse de Moscou, apportent les plats que le grand maréchal place sur la table. Tout le monde est encore debout, mais à l’instant où l’Empereur demande à boire, tout le monde s’incline et s’assied. Puis une cantate qu’un orchestre accompagne évoque le Ciel, la Terre, le Midi, le Nord, l’Orient, l’Occident ; plusieurs strophes sont sur ce thème d’actualité : que la Russie se tourne avec le même amour vers l’Occident, d’où lui vient la science, et vers l’Orient, d’où elle appelle les peuples à la civilisation. Le menu fixe l’ordre par lequel après chaque mets succède un toast : à l’Empereur, à chacune des Impératrices, aux membres du clergé, aux loyaux serviteurs du souverain.