Des salves d’artillerie sont les fanfares tonnantes qui signalent par tout Moscou la proclamation de ces santés. Un couchant clair empourpre le Kremlin, couronne chaque église d’un faîte rayonnant. Déjà la ville, jalouse de prolonger cette journée, se fait une lumière à elle, attache à chaque maison des lampes de couleur ; devises et formules se lisent sur les transparens ; des bustes de l’Empereur apparaissent dans des cabinets de verdure et de fleurs.
Il faut attendre longtemps, devant le temple du Christ-Sauveur, avant que la voiture progresse le long de la file où elle est engagée ; pas à pas, elle débouche enfin sur le quai ; et tout d’un coup, c’est un étrange Kremlin qui se dresse aux yeux, un Kremlin sans base, aérien, idéal, flottant en guirlandes de lumière dans un ciel mystérieux. Le clocher d’Ivan Veliki, couvert de lampes électriques qui semblent des perles, porte lui-même comme une couronne impériale. Tout le reste tremble au vent. Chaque tour est d’un seul ton, mais adroitement nuancé d’étage en étage : la tour de l’Annonciation, cramoisi, rose ; la tour Taïnitzkaïa violacé, mauve, lilas. Du haut de la porte Borovitzkaïa, un jet de lumière électrique erre sur la ville et montre des ondes de poussière qui tourbillonnent plus haut que les toits, jusqu’aux nuages. C’est comme un regard fulgurant qui interrogerait la nuit : « Qui vive ? » répète partout cette lueur. Par instans, la croix de quelque église paraît dans le ciel et répond : « Jésus. »
Mais tout d’un coup, devant cette féerie nombreuse, hardie, éblouissante, il vient un souvenir : « Qu’on nous donne seulement la lumière… » disait ce vieux paysan ; et l’on songe à cette Russie sombre, étalée à l’infini autour du palais lumineux. Oui, ce sera beau dans l’avenir, quand l’autorité ne sera plus seule éclairée et consciente, quand elle aura justement divisé et dispensé la connaissance, et quand chaque âme aura pris à cette source ce qu’il lui faut de clarté pour voir devant elle, autour d’elle, et pour marcher droit dans son chemin.