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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/647

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V

Charles Warren Stoddard a visité, nous l’avons dit, d’autres terres que les îles de l’Océanie. Son voyage en Orient a été publié, sous le nom de Mashallah ! Il y raconte sa fuite en Égypte, et même certain séjour à Paris au quartier Latin, où Bullier, qu’il s’obstine à écrire et à prononcer Boullier, tient un peu trop de place. Qu’on le ramène aux mers du Sud ! C’est là seulement qu’il peut soutenir la comparaison avec Loti : c’est là qu’il est tout de bon chez lui : « O Hawaï ! Hawaï ! Cendrillon parmi les peuples, poignée de cendres sur un foyer de corail fructifiant sous le ciel et la rosée d’un été éternel, comme vous êtes solitaire et comme vous êtes belle ! Et comme ceux qui, vous ayant connue, ont dû vous quitter, reviennent vite vous rapporter cet amour qui ne peut être qu’à vous ! »

Il faut lire sa Croisière sur la mer de corail avec un équipage que compose à lui tout seul Féfé, âgé de dix ans, et dont le nom est un diminutif d’éléphantiasis ! Il faut lire surtout l’histoire de Taboo. Le tableau de la fête Napoléon telle qu’elle eut lieu à Papeete, le 15 août qui précéda la chute de l’empire, s’y ajoute au récit d’une rencontre fantastique avec le bouffon local, l’idiot sacré, espèce de Caliban qui apparaît, puis s’évanouit, dans l’arc-en-ciel d’une cascade. Il faut lire encore Vie d’amour dans un lanai, lequel lanai est l’équivalent hawaïen d’ajoupa, une tente de feuillage où règne le demi-jour verdâtre des grands bois et où s’abritent tous les rêves les plus indolens, les plus suaves, des rêves qui n’auraient rien de particulièrement éthéré s’ils n’étaient fi lires pour ainsi dire par cette fraîche, candide et toujours jeune imagination, idéalisés en outre par un merveilleux talent descriptif. Est-ce bien le mot ? Stoddard ne décrit pas la nature, il l’évêque, il nous la fait voir et toucher, respirer et sentir, avec toutes ses vibrations de lumière, de couleur et de parfum.

Ce charmeur raconte son dernier pèlerinage à Hawaï dans un petit recueil de lettres : Hawaiian life : Lazy letters from low latitudes. Ce n’est pas là une œuvre d’art complète ; mais on y trouve, comme autant de perles négligemment enfilées, des pages bien originales : celles par exemple qui sont consacrées à la prison de Honolulu, l’établissement le moins triste et le plus confortable du monde. Nul ne la quitte sans aspirer à revenir « sur le récif. »

Par habitude, on dit encore d’un condamné qui subit sa peine : « Il est sur le récif », vu qu’autrefois cette peine consistait à scier le corail pour la construction des maisons qui sont