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humides d’une matière pulvérulente, au travers |de laquelle l’ascension de l’eau ne se fait plus.

Je me rappelle que, longeant une vigne, aux environs de Toulon, sous un soleil ardent, je vis un homme, déjà courbé par l’âge, travaillant sa vigne avec une houe ; c’était au mois d’août, le raisin était presque mûr. Je m’arrêtai, étonné qu’à cette époque un binage fût encore utile ; le vigneron se redressa et voyant mon étonnement me dit : « Ça fait toujours un peu grossir le raisin. » Pour que cet homme se livrât à ce rude travail, il fallait qu’une longue expérience lui eût appris qu’il était efficace ; et on conçoit en effet qu’en écrêtant le sol, en brisant la couche superficielle durcie par la sécheresse, en rompant ainsi la continuité nécessaire à l’ascension de l’eau jusqu’à la surface, il ait préservé de l’évaporation les faibles réserves d’humidité que renfermait encore sa terre ; la vigne profitait de cette eau épargnée, « qui faisait toujours un peu grossir le raisin. »

Le démariage toujours, les binages souvent, sont exécutés à la main ; la culture de la betterave exige donc un personnel nombreux et exercé, et il semblerait, au premier abord, que fournissant du travail aux champs pendant l’été, dans les usines pendant l’hiver, la betterave dût empêcher l’émigration de la campagne à la ville, dont on se plaint si souvent. Il n’en est pas tout à fait ainsi ; les pays riches dans lesquels cette culture est établie ne fournissent pas une main-d’œuvre suffisante. Dans le Nord et dans l’Est, les travaux sont habituellement exécutés par des Belges de la Flandre flamingante ; je les ai vus jusqu’en Auvergne ; on traite à forfait avec un entrepreneur qui amène une quinzaine d’hommes et une femme pour leur préparer leurs maigres repas ; ils restent pendant toute la saison ; bons travailleurs, habituellement sobres, ils emportent presque intégralement au pays leur petit pécule.

Aux environs de Paris, les Bretons font concurrence aux Belges ; les uns et les autres viennent des contrées à populations denses, où le travail est insuffisant pour occuper tous les bras disponibles ; quand cette ressource d’une main-d’œuvre étrangère à bon marché fait défaut, la culture de la betterave devient impossible ; elle n’a pu s’établir dans les pays à salaires élevés comme l’Angleterre ou les Etats-Unis, elle prospère au contraire en Allemagne, en Autriche et en Russie.

Les binages nombreux sont nécessaires pour retenir l’eau dans le sol, l’empêcher de s’évaporer à la surface, pour détruire les plantes adventices, qui partageraient, avec la betterave l’eau dont elle fait une terrible consommation.