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plus considérables de notre petite planète, et que nous avions de fortes raisons, l’autre jour, d’entendre les Perses avec piété.


Peer Gynt, joué par l’Œuvre, m’a semblé une des moindres productions de M. Ibsen. Cela a l’air d’une œuvre d’extrême jeunesse, beaucoup plus jeune même que n’était l’illustre Norvégien lorsqu’il l’écrivit. Cela relève du genre auquel nous devons Faust, mais auquel nous devons aussi d’innombrables Caïns, Prométhées, Psychés, ou Don Juans de poètes appliqués, mais sans génie : le genre philosophico-symbolico-dramatique. Ces poèmes-là se piquent de profondeur ; mais la vérité, c’est qu’il est difficile que l’idée « philosophique » qui y est développée se sauve du banal autrement que par l’obscur. Car si l’on veut faire de la métaphysique ou, simplement, de la philosophie, il en faut faire en prose, en prose abstraite et exacte, et par un exposé direct et suivi, et je n’y vois pas d’autre moyen.

Quelle est l’idée de Peer Gynt ? Qu’on peut manquer sa destinée par orgueil, ambition et inquiétude ; que la réalité est toujours inférieure à nos désirs et à nos rêves, que nous ne savons jamais bien ce que nous voulons, et que le mieux est de « cultiver notre jardin. » Rien de plus, je le crains. Oui, j’ai beau faire, l’idée de Peer Gynt m’apparaît aussi humble, aussi « bonne femme » que celle de la fable des Deux Pigeons. Et cela ne m’étonne point. J’ai souvent constaté que ces prétendus drames philosophiques contiennent tout juste autant de philosophie que tel vaudeville de Labiche et se peuvent ramener aux mêmes axiomes de sagesse courante. S’ils valent quelque chose, c’est uniquement par les épisodes particuliers dont ils sont formés. Ils sont, finalement, beaux et vivans, dans la mesure où chacun de ces épisodes exprime la vie ou donne l’impression de la beauté. Or, trois ou quatre scènes seulement de Peer Gynt m’ont paru ou vivantes ou belles. (Je n’en juge, bien entendu, que sur la traduction française.)

Donc Peer Gynt est un paysan, un chasseur, paresseux, menteur par naturel bouillonnement d’imagination, qui rêve tout, qui veut tout, sans bien savoir quoi, — et qui fait le désespoir et l’orgueil de sa mère. (Excellente, cette scène avec la vieille.) — Repoussé, ajourné du moins par la charmante Solweig, il enlève une mariée le jour de ses noces. Chassé pour son crime, il s’en va chez les Trolls, des êtres mystérieux qui ont des têtes d’animaux, et refuse d’épouser la fille de leur roi, parce qu’il lui faudrait pour cela être changé lui-même en animal. Et cela signifie sans doute qu’il se réfugie d’abord dans la débauche, puis s’en dégoûte et s’en évade.

Il revient voir la charmante Solweig, qui lui engage sa foi. Il aide sa vieille mère à mourir doucement, en la berçant des contes enfantins