Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passée. Et ils ont été très surpris que la Chambre ne les suivît pas. Leur déconvenue se comprend, car enfin, si la majorité ne tient pas à la loi, pourquoi l’a-t-elle votée, et si elle y tient, pourquoi n’a-t-elle pas demandé au gouvernement de la soutenir au Luxembourg ? Mystère et parlementarisme. Les choses sont ainsi ; c’est tout ce qu’on en peut dire. Il était sans doute impossible à la Chambre d’exprimer plus clairement sa parfaite insouciance sur le sort ultérieur de la loi. Celle-ci est arrivée au Luxembourg déjà blessée à son départ du Palais-Bourbon. Les sénateurs lui ont fait l’accueil le plus cérémonieux. L’un d’entre eux, radical, nouveau venu dans la grave assemblée, et venu d’un de ces départemens méridionaux où on a peu l’habitude de mesurer ses paroles, a demandé avec fracas le vote de l’urgence. On l’a regardé avec étonnement. Voter l’urgence sur une proposition qui demandait une étude aussi approfondie, quelle imprudence ! Le Sénat a pris le temps de réfléchir ; puis il s’est réuni dans ses bureaux ; puis il a nommé une commission de neuf membres pour envisager le projet sous toutes ses faces. Le résultat de cet examen n’est pas encore connu, et ne le sera peut-être pas de sitôt : la Chambre ayant mis deux ans et demi pour préparer et pour voter une loi qui ne la touchait pas directement, il est à croire que le Sénat n’en mettra pas moins. Ce qui abrégera pourtant ses travaux préparatoires, c’est que les neuf commissaires sont à l’unanimité et très résolument hostiles à la réforme. Et voilà comment les Chambres perdent leur temps.

Peut-être celui qui a été consacré à la discussion du budget des Affaires étrangères ne l’a-t-il pas été non plus, au moins dans toutes ses parties, d’une manière bien utile. Les socialistes avaient annoncé dans la presse l’intention d’interroger M. Hanotaux sur le caractère exact, sur la portée réelle, sur les termes précis de l’entente qui existe entre la France et la Russie. Il est assez difficile de discerner au juste à travers leurs discours s’ils sont les adversaires de l’alliance russe ou s’ils veulent seulement, fidèles à leur rôle d’opposition quand même, embarrasser à bon marché le gouvernement en lui posant des questions auxquelles il ne peut pas répondre. C’est M. Millerand, celui d’entre eux qui est le plus maître et le plus sûr de sa parole, qui l’a prise dans cette circonstance. La thèse qu’il a soutenue est très simple. — Nous ne dédaignons pas, a-t-il dit, un accord, une entente, une alliance avec une autre puissance, par exemple avec la Russie. La Russie a été longtemps l’alliée de l’Allemagne, et nous en avons beaucoup souffert ; si elle est devenue la nôtre, nous pourrons peut-être en profiter, mais quand ? comment ? à quel prix ? La France a le droit de savoir à quoi elle a été engagée, et à quoi on s’est engagé envers elle. Jusqu’ici notre allié seul a tiré de ses nouveaux rapports avec nous des avantages politiques et financiers considérables, et qui ont été sensibles à tous les yeux. En Extrême-Orient, comme l’a dit