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M. Hanotaux lui-même, nous avons « mis avant tout la considération de nos alliances », et, dans cette vue, nous avons marché non seulement avec la Russie, mais avec l’Allemagne. En Orient, à travers des événemens qui ont fait couler des torrens de sang et ont causé d’amères douleurs a des populations habituées à placer leur confiance en nous, notre politique s’est encore conformée à celle de la Russie. Soit ! mais en tout cela nous voyons ce que nous donnons, nous ne voyons pas ce qu’on nous donne, et c’est ce que nous voudrions voir. Nous demandons au gouvernement de nous le montrer ou de nous le dire, sinon il aura pris une responsabilité très grande, qu’il doit assumer à lui tout seul, et dont nous dégageons la nôtre. — C’est sans doute à cette conclusion que M. Millerand voulait arriver, et on ne saurait lui en contester le droit. En parlant ainsi, il restait dans la mesure d’une opposition légitime. M. Jaurès, emporté par sa fougue oratoire, en est très maladroitement sorti lorsqu’il a déclaré, devant le silence de M. le ministre des affaires étrangères, que le pays devait plus que jamais ne compter que sur lui-même. Qu’en sait-il ? Un tel langage est la négation de l’alliance, et rien ne prouve à M. Jaurès qu’elle n’existe pas avec le caractère le plus sérieux. M. Millerand, plus habile, en a laissé toute la responsabilité au gouvernement, qui d’ailleurs n’hésite pas à l’accepter.

Au surplus, il n’est pas exact de prétendre que M. le ministre des affaires étrangères n’ait rien dit dans sa réponse à M. Millerand. Sans doute, il n’a pas apporté un traité et n’en a pas donné lecture à la tribune, mais ce n’est probablement pas ce qu’attendait l’orateur socialiste. M. Hanotaux a rappelé les toasts échangés par l’Empereur de Russie et M. le Président de la République à Cherbourg, à Paris, à Châlons, et il a dit que le texte en avait été concerté. Bien qu’on s’en doutât, cette affirmation n’était pas inutile : elle prouve que rien n’a été livré à l’inspiration fortuite, peut-être à l’émotion du moment dans chacune de ces circonstances, que tous les mots avaient été pesés d’avance et qu’ils ont été prononcés de propos parfaitement délibéré. Les trois toasts prennent par-là toute leur valeur, et si on se rappelle dans quels termes ils étaient conçus, il faudra bien leur attribuer plus d’importance qu’on ne le fait généralement à un simple échange de courtoisies. La Russie entretient d’excellentes relations avec toutes les puissances sans exception ; on a dit encore, ces jours derniers, à Berlin, que ses rapports avec l’Allemagne étaient aussi satisfaisans qu’ils l’avaient jamais été ; néanmoins il y a eu une différence de ton très appréciable entre les paroles que l’empereur Nicolas a prononcées en Allemagne et celles qu’il a prononcées en France, d’où il est permis de conclure que, s’il est bien avec l’Allemagne, il est encore mieux avec la France. La nature des rapports qu’il a avec l’une et avec l’autre puissance n’est évidemment pas la même. Il semble que M. Millerand et