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Mais voici maintenant le langage de M. de Marschall. « Si le successeur du prince de Bismarck a été d’un avis différent du sien au sujet de la réassurance (c’est-à-dire du traité avec la Russie), s’il a cru que l’observation d’un secret absolu entraînerait certains dangers, et s’il s’est même demandé si cela ne diminuerait pas les garanties de la paix, on peut critiquer et combattre cette manière de voir, mais il me semble que les convictions de cet homme consciencieux et plein de mérite sont au-dessus des attaques qu’on a dirigées contre lui. » Nous souscrivons très volontiers aux éloges donnés au général de Caprivi ; il s’est montré, en effet, homme de conscience et d’honneur pendant tout le temps qu’il est resté au pouvoir ; mais si les mots ont un sens, il faut induire de ceux qu’emploie M. de Marschall que M. de Caprivi a regardé comme dangereux, non seulement le contre-traité avec la Russie, mais le secret absolu qui avait été gardé à son sujet. Dès lors, que devient l’affirmation de M. de Bismarck, et comment croire à sa véracité ? Et la question est grave. Si l’Autriche et l’Italie ont connu le traité russe et n’ont fait sur lui aucune observation, leur silence a pu être regardé comme approbatif, et le traité, qu’il soit bon ou mauvais, qu’il soit utile ou nuisible en lui-même, ne saurait du moins être incriminé au point de vue de la morale publique. Dans le cas contraire, on est obligé de porter un jugement différent. Nous ignorons ce qui s’est passé après la chute de M. de Bismarck et au moment de l’expiration du traité. Les raisons pour lesquelles celui-ci n’a pas été renouvelé restent assez mystérieuses. Peut-être le chancelier de Caprivi a-t-il cru devoir rompre avec ses alliés le secret si bien gardé par son prédécesseur, et peut-être a-t-il rencontré chez eux des préventions et des résistances dont personne ne sera étonné. Lorsqu’on a fait avec un pays étranger un traité qui engage l’ensemble de sa politique, et qu’on vient à s’apercevoir que ce pays a fait avec une autre puissance un second traité qui n’engage, si l’on veut, que partiellement sa propre politique, mais enfin qui l’engage dans une mesure difficile à déterminer, il est naturel qu’on ne reste pas indifférent à cette révélation et qu’on en soit désagréablement impressionné. C’est ce qui est arrivé à l’Autriche, un peu plus tôt, ou un peu plus tard, peut-être dès le ministère de M. de Caprivi, peut-être seule-mont a la lecture récente des articles des Nouvelles de Hambourg. Quoi qu’il en soit, lorsque l’opinion, à Vienne, s’est trouvée subitement saisie d’une confidence qui peut-être n’en était déjà plus une pour le gouvernement, elle s’est montrée extrêmement émue, et certes on le serait à moins.

M. de Marschall avait à soutenir dans son discours une thèse en deux parties, dont la première affaiblissait la seconde, à savoir que M. de Bismarck avait eu parfaitement le droit de faire ce qu’il avait fait, mais que M. de Caprivi avait eu encore plus raison de faire le