Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/723

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contraire. Le traité subsidiaire conclu par M. de Bismarck avec la Russie n’avait, à l’entendre, rien de contraire aux clauses du traité principal conclu avec l’Autriche, et dès lors il était légitime. On vient de voir dans quelle mesure et sous quelles conditions cela est vrai, du moins à notre sens ; mais M. de Marschall était obligé par situation de parler comme il l’a fait. Comment aurait-il pu s’en dispenser ? Ce n’est pas seulement M. de Bismarck qui aurait été en cause, mais Guillaume Ier lui-même, le vieil empereur hiératique contre lequel son petit-fils n’aurait certainement pas permis qu’on dirigeât un soupçon téméraire. Aussi M. de Marschall a-t-il employé un peu de rhétorique dans ce passage de son discours, dont tout le reste est si simple et si grave, et s’est-il écrié, pour repousser une attaque à laquelle il s’est déclaré « avec une certaine fierté » particulièrement sensible : « N’importe de quel côté que vienne une pareille accusation, tous les Allemands doivent se réunir pour la repousser, car si elle pouvait prendre de la consistance, elle nous porterait préjudice en même temps qu’elle causerait joie et satisfaction à nos ennemis. » Soit ; mais s’il en est ainsi, peut-être est-on trop sévère pour M. de Bismarck, car à supposer qu’elle fût tout à fait morale, il faudrait bien avouer que la combinaison imaginée par lui était aussi très ingénieuse, et qu’à tout prendre l’Allemagne ne s’en est pas mal trouvée.

Était-elle vraiment tout à fait morale ? Nous étions presque portés à le croire quand M. de Bismarck assurait que l’Autriche et l’Italie l’avaient connue et approuvée ; tout au plus aurions-nous pu, si nous avions eu quelque motif de nous intéresser à elles dans cette circonstance, plaindre un peu les deux puissances qui se montraient d’aussi bonne et d’aussi crédule composition ; en somme, c’était leur affaire et non pas la nôtre. Mais on nous apprend aujourd’hui que l’Autriche et l’Italie ne savaient rien, et l’affaire change de face. En outre, après avoir soutenu que la politique de M. de Bismarck était correcte, il a bien fallu que M. de Marschall en justifiât l’abandon qu’en avait fait M. de Caprivi, et il a confessé lui-même que l’explication était assez difficile. Il en a présenté une qui se rapproche beaucoup de celle qui était déjà dans la conscience européenne, et qu’on a trouvée dans les journaux du monde entier, à savoir qu’un système aussi compliqué de traités et de contre-traités, d’assurances et de ce qu’il a appelé réassurances, ne pouvait inspirer à personne une confiance parfaite. La sécurité manque inévitablement à celui qui se trouve pris dans ce réseau inextricable. Il se demande, pour peu qu’il réfléchisse, quel est, de tant de traités qui se présentent au choix de leur commun inventeur, celui qui prévaudra à un moment donné, et l’incertitude s’aggrave pour lui de la difficulté que présente toujours, dans le système des alliances défensives, la question de savoir où est le véritable agresseur. Presque toujours il y a doute sur ce point, et chacun, suivant son intérêt du moment, peut