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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/767

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émouvant. Il commence par la fin, par le Déluge, et exécute ses peintures dans un ordre inverse de celui qu’on suit maintenant pour les contempler. Il va graduellement du sud au nord, de l’entrée de la chapelle jusqu’au fond où est placé l’autel. Il procède par sections, par de larges bandes embrassant chaque fois une portion du plafond ainsi que les parties adjacentes des deux pentes latérales[1] ; et à mesure qu’il avance ainsi dans le travail, son art s’enhardit, se détend et se déchaîne : il n’est pas jusqu’aux figures décoratives de la vaste composition, suffisamment tranquilles et symétriques au début, qui ne finissent par s’ébranler, par s’agiter, se démener même dans la suite. Il est intéressant aussi d’observer que le projet fatidique du tombeau de Jules II ne cesse de toujours hanter le peintre et de lui fournir maint motif pour la voûte : l’ordonnance constructive de l’entablement tout autour du plafond, la distribution des surfaces au moyen de pilastres en saillie et de niches, avec des putti formant cariatides, etc., sont les mêmes ici que dans la célèbre esquisse de la sepultura que conserve le cabinet de dessins aux Uffizi[2]. Quant à la science du frescante, si pénible à acquérir d’abord, Buonarroti ne tarde pas à la posséder et à la manier avec une maîtrise sans égale. Malgré les alternances continues dans le clair et dans le foncé, sa peinture présente une harmonie de couleurs, un ensemble tranquille et doux qu’on ne trouve pas toujours dans la salle de la Segnatura ni dans celle d’Héliodore.

Au bout de trois ans d’un labeur acharné et fiévreux, dont le sonnet à Giovanni da Pistoia et quelques lettres adressées alors par Michel-Ange à sa famille donnent une impression bien vive, la voûte proprement dite était presque finie ; il ne restait plus à peindre que les lunettes et les tympans des fenêtres (les Ancêtres du Christ). C’est à ce moment que la catastrophe de Bologne fit revenir Jules II brusquement à Rome (27 juin 1511) après dix mois d’absence[3]. Les désastres de la veille, ni les périls du lendemain n’empêchèrent pas le Rovere de s’occuper aussitôt de ses diverses entreprises artistiques. Il alla (juillet) poser devant

  1. Voyez, à ce sujet, la fine étude de M. H. Wölflin dans le Répertoire de Janitschek, XIII, p. 264 seq. C’est à tort qu’on représente généralement Michel-Ange exécutant d’abord les sujets historiques du plafond, ensuite les Prophètes et les Sibylles des pentes latérales, et en dernier lieu les figures décoratives : il a peint ces trois ordres de sujets simultanément et par sections. Ce n’est que les Ancêtres du Christ, dans les lunettes et tympans des fenêtres, qu’il a exécutés séparément et d’une seule venue, et cela après l’achèvement de la voûte proprement dite.
  2. Uffizi, cabinet des dessins, no 608 (projet primitif pour le monument de Jules II)
  3. Voyez, dans la Revue du 1er avril 1896 : le Jeu de ce monde.