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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/768

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Raphaël pour son portrait dans la dernière fresque de cette Camera della segnatura dont il lui tardait de montrer au monde les magnifiques splendeurs. Si la Sixtine pouvait être ouverte elle aussi ? Entr’ouverte du moins pour quelques jours et à l’occasion d’une grande solennité religieuse ?… Que Michel-Ange, avec l’humeur qu’on lui connaît, ait cédé à une pareille fantaisie du pape et démonté le « pont » qui lui était encore nécessaire pour la continuation de ses travaux, cela a lieu d’étonner. Peut-être n’osait-il refuser une dernière joie au pontife alors si éprouvé et qui paraissait toucher à sa fin ; peut-être bien aussi le secret désir défaire pièce à l’« Urbinate » et à sa Camera entrait-il pour quelque chose dans cette condescendance. Toujours est-il qu’à la date du 15 août 1511, Paris de Grassis put noter dans son Journal : « Vigile et fête de l’Assomption de la glorieuse Vierge. Le pape a voulu assister aux vêpres et à la messe solennelle célébrée par le sacristan dans la grande chapelle palatine. Car cette chapelle est dédiée à ladite Assomption, et le pape y est venu par dévotion ainsi que pour voir les peintures récemment mises à découvert… » Les jours suivans, tout Rome se pressait dans la Chapelle palatine[1].

  1. M. Eugène Müntz a eu le grand mérite de signaler le premier les deux passages suivans qui, dans le Journal de Paris de Grassis, se rapportent aux peintures de la voûte : 1o In Vigilia et Die assomptionis 1511. Pontifex venit ad Capellam… ut picturas novas ibidem noviter detectas videret. 2o In Vigilia OO. Sanctorum 1512. Hodie primum Capella nostra pingi finita aperta est. Ainsi, la première et partielle mise à découvert des fresques de Michel-Ange a eu lieu dans la semaine de l’Assomption 1511, un peu plus de trois ans après le commencement des cartons pour la voûte ; l’ouverture complète de la chapelle suivit l’année d’après, dans la semaine de la Toussaint (1512). Ces deux dates si précises et si authentiques du maître des cérémonies devraient couper court, il me semble, à toutes les relations confuses qu’on trouve sur la matière chez les écrivains, tant anciens que modernes, depuis Vasari et Condivi, jusqu’à MM. Heath Wilson, Springer et Wölflin ; M. Carl Frey excepté. C’est aussi d’après ces deux dates qu’il faudrait rectifier la chronologie conjecturale de Milanesi pour plusieurs lettres de Michel-Ange relatives à la Sixtine. La lettre notamment (p. 23) adressée par l’artiste à son père, où il lui annonce qu’il a fini la chapelle et qu’il ne viendra pas pour la Toussaint, ne peut pas évidemment être de l’année 1509 ; elle est du mois d’octobre 1512.

    Reste maintenant la question : Quelle partie des fresques était finie lors de la première mise à découvert, en août 1511 ? Le simple bon sens indique déjà que la partie qui a pris à l’artiste trois ans et demi de travail a dû être beaucoup plus considérable que celle qui fut achevée ensuite dans l’espace de douze ou treize mois. Aussi bien Michel-Ange dit-il, dans sa fameuse lettre à Fattucci (éd. Milanesi, p. 426 seq), qu’au moment où, pour avoir de l’argent, il s’en fut relancer le pape jusqu’au milieu de son armée à Bologne (fin septembre 1510), la vôlta era quasi finita, et que, de retour à Rome, il se mit à faire les cartons per le teste e le faccie attorno di della cappella di Sisto. Ces derniers mots ne peuvent s’appliquer qu’à la peinture des lunettes et des tympans des fenêtres ; c’était une partie distincte de la voûte proprement dite, une partie pour laquelle, avant 1511, il n’avait même pas encore préparé les cartons. On verra dans la suite que cette partie (les Ancêtres du Christ) diffère essentiellement, par le style comme par la facture, de tout le reste de l’œuvre. M. Carl Frey (Jahrbuch preuss. Kunstsamml., XVI, 91, seq.) a seul des vues justes dans la matière, à quelques exceptions près pourtant.