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Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 138.djvu/794

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regard par intervalles et font mieux ressortir les principales scènes. A la place de ces « ornemens d’usage », — comme Michel-Ange les appelle un pou dédaigneusement dans une lettre bien connue à Fattuci, — nous avons ici des rangées continues de reliefs, de cariatides et de statues en couleur de bronze, de grisaille ou de chair. C’est d’abord une série de douze plaques d’une patine foncée avec vingt-quatre figures colossales en camaïeu qui suivent, comme des plantes rampantes, les sinuosités des tympans des fenêtres. Viennent après quarante putti en chiaroscuro, adossés par couples en guise de cariatides à chacun des pilastres qui encadrent les niches des Prophètes et des Sibylles. Plus haut, et par couples aussi qui se font toujours face, vingt adolescens nus — les fameux Ignudi — tiennent en mains de grosses guirlandes de feuilles de chêne (le chêne des Rovere) avec de grands médaillons en bronze[1]. En dernier lieu (en 1512, après les Ancêtres du Christ), dix autres putti, mais coloriés cette fois, trouveront encore leur place tout on bas, entre les lunettes des fenêtres, et serviront de supports à des cartouches avec des inscriptions. — Tous ces reliefs, cariatides et statues, sont exécutés avec une science, avec une maîtrise incomparables, et dans les Ignudi notamment la beauté du corps humain reluit d’un éclat inconnu depuis les temps de Lysippe et Praxitèle. Que ces magnifiques éphèbes personnifient bien la vie dans toute son exubérance, la jeunesse dans toute sa fraîcheur et splendeur ! Mais qu’ils n’en portent pas moins au front le signe de la tristesse et de la douleur[2] : la signature indélébile de Buonarroti !…

Si merveilleuse que soient ces figures décoratives, on ne saurait nier cependant qu’elles n’empiètent considérablement sur les scènes historiques du plafond. L’intérêt se trouve partagé ; l’attention va du tableau à l’encadrement sans pouvoir se fixer avec une préférence marquée. Est-ce bien du reste un encadrement que nous avons là devant nous ? Il s’anime et s’ébranle si étrangement à mesure que nous avançons ; plus nous nous rapprochons du maître-autel au fond, et plus les putti et les Ignudi en haut

  1. Ces médaillons, à l’origine bien lumineux et même dorés par endroits, sont devenus presque noirs maintenant et font déplorablement tache. Vasari dit que les sujets des médaillons étaient empruntés aux Livres des Rois : j’y reconnais surtout des scènes militaires antiques, inspirées évidemment par les reliefs de la colonne Trajane ; on voit ensuite un Sacrifice d’Abraham, le Char d’Elie, la Mort d’Absalon, Caïn et Abel, un Empereur à genoux devant un Pape (Frédéric Barberousse devant Alexandre III ? ).
  2. Deux Ignudi font seuls exception à cet égard : l’un au-dessus de Daniel, à droite ; et l’autre au-dessus d’Isaïe, à gauche. Celui au-dessus de Jérémie, à gauche, me paraît le plus beau de tous : il rappelle l’Adam de la Création et a également son expression mélancolique, navrée presque.