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l’eau, qu’elle emprunte à l’atmosphère, il faut la placer dans une étuve chauffée à 115 degrés centigrades ; on s’assure ainsi, à la « Condition » de Lyon, de Paris ou d’ailleurs, que la proportion aqueuse admise par le commerce n’est pas dépassée. Les échantillons prélevés dans la balle, dont la pesanteur a été exactement déterminée, sortent de l’étuve au bout d’une demi-heure environ. Le poids sec, augmenté de 11 pour 100, représentant l’évaporation, constitue dès lors leur poids marchand.

Cette première vérification est suivie de l’essai, du titrage, qui fait connaître, en comparant la longueur des fils à leur poids, la force, « le numéro » de la soie. On dévide 20 échevettes de 500 mètres et leur lourdeur moyenne, en grammes, ou mieux en deniers (52 milligrammes), — car les unités antérieures au système métrique persistent, dans la langue des textiles, malgré toutes les révolutions, — constitue le « titre ». S’il s’agit de soies chinoises, médiocrement filées jusqu’ici, bien qu’elles s’améliorent chaque année, la pesanteur varie parfois, d’une échevette à l’autre, du simple au triple.

Mais ces irrégularités, corrigées en Europe par le travail d’ouvraison dont nous parlerons tout à l’heure, n’ont pas empoché les produits de l’Orient de prendre sur notre marché leur place, la première place. Sur 100 kilos qui arrivent à Lyon, 57 viennent directement de l’extrême Asie, — en majorité du Japon, — 17 sont expédiés d’Italie, 12 kilos seulement sont de provenance française. Le reste est tiré du Bengale, de Syrie, de Brousse ou d’ailleurs. Les approvisionnemens de nos manufactures viennent donc, pour près des neuf dixièmes, de l’étranger. Situation relativement nouvelle : à la fin de la Restauration, au lieu des 6 millions de kilos qu’elle importe aujourd’hui[1], la France n’en demandait au dehors que 250 000, sous Louis-Philippe 500 000, puis 1 million au début du second Empire et 3 millions en 1876. C’est à l’introduction de ces soies exotiques qu’est due la prospérité d’une de nos plus belles industries nationales ; c’est par elles qu’a pu s’accomplir l’évolution dans les prix qui a suscité un peuple de nouveaux acheteurs. En effet, tandis que nous allons chercher aux antipodes la plus grande partie des fils qui garniront nos métiers, une portion des soies originaires de France passent à l’étranger.

Ces « grèges » des Cévennes, les premières de toutes, qui n’ont de rivales nulle part comme nature et comme travail, deviennent par leur prix élevé des produits de luxe, dont l’emploi

  1. Le chiffre s’applique aux « fils de soie » seulement ; il est apporté, presque en égale quantité, des « déchets de soie « qui sont l’objet de manipulations spéciales.